dimanche 26 mars 2023

Accidents Planifiés

Energisé par le band avec lequel il est en tournée pour ce qu'on appelait alors à la fois The Isolar Tour II et The Stage Tour (après la sortie de l'album en spectacle), David a trois semaines de "congé" dans cette tournée de 1978.

 Il en profitera pour aller en studio, enregistrer ce qu'il fignole depuis quelques temps. 

Situé dans l'immeuble du Casino de Montreux, le studio (que l'on peut visiter tout à fait gratuitement, ce que nous avons fait dans le bonheur, en juin dernier) offre une vue superbe sur le Lac de Genève. Queen y enregistrera tant qu'ils finiront par l'acheter. En 1978, c'est l'album Jazz de Queen qui y est enregistré dans le grand hall du Casino. Mais pour Bowie, Visconti, Eno et compagnie, ce hall n'est pas disponible. On enregistre alors tout dans le petit studio, à l'étage, où il fait extrêmement chaud. On travaille en bedaine et une fois qu'une prise est fait, on sort sans toujours l'écouter. On a fait tout très vite et avec une date de tombée. Donc avec une certaine urgence. Eno, qui vient de travailler avec Talking Heads, prendra un rôle beaucoup plus important avec la direction éclectique du son. Plusieurs chansons de cet album seront faciles à imaginer avec la voix de David Byrne. Ce sera un album de voyageur. David prends maintenant l'avion. Il a été en URSS avec Iggy, au Kenya avec son fils, en Allemagne avec ceux qui l'accompagnent en studio. C'est un album continuellement "en mouvement" et le premier côté du disque est clairement le côté "voyage" comme l'excellente chanson d'ouverture le confirme

Avec Eno à la proue, les cartes de stratégies obliques reviennent en force. Pour un des morceaux, Carlos Alomar est envoyé à la batterie parce que sa carte lui dit quelque chose comme "surpasses toi avec un défi instrumental". Bowie, sans parler de "paresse", à partir de maintenant, inclura toujours des morceaux moins neufs. Depuis presque 10 ans David a presque toujours glissé une reprise/refonte d'un morceau d'un autre artiste dans ses disques. Fill Your Heart de Bill Rose sur Hunky DoryIt Ain't Easy de Ron Davies sur The Rise & Fall..., Pin Ups au complet,  Fascination de Luther Vandross & Across the Universe des Beatles sur Young Americans, Wild is the Wind de Nina Simone sur Station to Station. Il le fera maintenant beaucoup plus souvent.  Cette fois, sur ce qui s'appelle alors Planned Accidents, il revisite beaucoup son propre matériel. Sister Midnight, de l'album concocté avec Iggy, a de nouveaux mots, quelques variations d'arrangements et devient Red Money

 

Bowie est désormais un artiste qui voit et prend conscience de l'influence qu'il a eu sur de nouveaux bands et artistes qui émergent dans ce qu'on appelle The New Wave ou The New Romantics.  Avec Eno, ce qui est décidé est que lorsqu'on se trompe en studio, on insiste afin de créer à partir de cette erreur qu'on intégrera au produit final. De là, les accidents planifiés. On veut faire de la magie avec une certaine forme d'avant-gardisme. Bowie a toujours été deux ou trois coups avant les autres, il veut poursuivre dans cette direction. Une chanson est enregistrée quand, par erreur, il entend sa chanson All The Young Dudes jouée à l'envers. Il en fera une chanson complète où derrière on chante Hello, Goodbye, en kenyen. Sur une autre chanson de l'album, ce sont les mêmes accords que sur la première chanson de l'album, joués avec une progression et une vitesse différente. Toujours très intéressé par le krautrock, un excellent morceau de l'album sera très inspiré d'un autre morceau du supergroupe Harmonia avec une intro inspirée de Hero (tiens...) de Neu!. Une de mes préférés de cet album, injustement sous apprécié, est Look Back in Anger où on a demandé à Alomar de faire un solo vers 1:16. Mais Alomar étant un guitariste rythmique à refusé de faire autre chose qu'un solo. rythmique. Qui fait toute la chanson avec la batterie tribale de Dennis Davis et ses congas. Le clip, pour cette chanson sera de David Mallet. Inspiré ouvertement de The Portrait of Dorian Gray d'Oscar Wilde.     

On enregistre à New York au printemps 1979 et pour une rare fois, Bowie a pris le temps de composer les paroles à partir de ce matériel qu'il a écrit tiré de ses expériences sur la route. Au niveau lyrique, Bowie critique le monde dans lequel on vit. La direction des leaders. Les hommes assez lâches pour battre leurs Femmes. Le côté international, parfois influencé par le quartier turc dans lequel David et compagnie logeaient, à Schöneberg, ou encore l'inspiration Allemande du cabaret de Romy Haag, copié dans le clip de Boys Keep Swinging jusqu'au geste d'étendre le maquillage dans son propre visage, donnent au disque une saveur de musique du monde. Style que Peter Gabriel, Paul Simon, Eno lui-même et bientôt Sting rendront encore plus accessible avec le temps. 

Tout se déroule trop vite et David & Tony souhaitaient mieux pour le mix final (ils le referont en 2017). Eugene Chaplin, en Suisse, 5ème enfant de Charlie & Oona, et David Richards, à New York, avec Visconti, Bowie & Eno seront magiciens de la production. L'album est lancé en mai 1979. Avec l'impression d'un colis en pochette, (une photo de Brian Duffy) et encore l'idée "d'accidents" évoquée. David représenté comme post-grave accident, le corps tordu et le nez cassé.

Parenthèse ici que seuls les vrais fans de Bowie pouvaient saisir, en mai 2022, j'ai assisté à un spectacle hommage à Bowie qui couvrait uniquement la période 1976-1979. Trois fameuses jeunes Femmes chantaient les morceaux de cette période et un tout aussi fameux band accompagnait parfaitement à la Place-des-Arts de Montréal. J'en ai versé des larmes au moins deux fois. À la conclusion de D.J.,  une des trois chanteuses, la beaucoup plus grande, a terminé la chanson sur une pose qui reproduisait celle de la pochette

C'était tout simplement formidable, j'en ai eu des frissons.

Bowie n'a jamais été aussi peintre qu'il l'est depuis un an. Mais ne trouve pas le courage d'accepter d'être exposé. Bowie tente sur cette pochette de reproduire Self Portrait as San Sebastian d'Egon Schiele, peint en 1915.  Duffy habite aussi la Suisse. C'est le maquilleur rencontré sur la plateau de Just a Gigolo qui aidera aux trucages visuels. Bowie choisira une photo hors focus et imparfaite car il a l'impression que c'est ce qu'il livre. Les ventes le confirmeront. Mick Jagger qui en a une écoute avant sortie refuse de donner son avis en disant plutôt "O.K. je vous quitte et vais voir Joni Mitchell, voir si je peux saboter son album à elle." .  Il n'ose pas dire à son ami que ça ne rejoindra pas large. 

4 morceaux ne seront pas retenus pour l'album

Avant la fin de l'année, Alabama Song tiré d'un opéra de Kurt Weill & Bertold Brecht, avec une nouvelles version de Space Oddity seront lancés. 10 ans après avoir créé ce morceau, il fermait la décennie en la réinventant plus acoustique. Une nouvelle version de Panic in Detroit est aussi lancée. 

Une tournée mondiale payante suivra et en décembre, à New York, sur le plateau de l'émission Saturday Night Live, le 15, Bowie fait forte impression en chantant avec deux choristes, Klaus Nomi et Joey Arias. Son dernier album restant principalement peu compris, Bowie associera Eno à la direction choisie, et ne voudra plus travailler avec lui pour l'album suivant. 

Une nouvelle décennie se dessine, mais aussi, un certain vide.

C'est l'ère de l'image qui prends forme.

David voudra y plonger with Fashion

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