Mais plusieurs facteurs font en sorte que fans et critiquent trouvent en Scary Monsters (& Super Creeps) un dernier bel effort. Il s'agit du dernier avec Tony Visconti à la production avant un certain temps. C'est l'absolu tout dernier avec le tandem magique Dennis Davis/George Murray à la rythmique (batterie & base respectivement). C'est aussi le dernier sous la gérance "officielle" de Tony DeFries, contrat que se termine fin 1982, et le dernier prévu pour l'étiquette RCA. Bowie n'a pas aimé la conception, la réception et la promotion de Lodger, il veut vite changer la direction et vise quelque chose de plus axé sur les guitares et surtout beaucoup plus commercial. On commence à le copier et à parler de lui presqu'au passé, il n'aime pas ça. C'est pas du jeu.
MTV promet de naître et Bowie veut en être. Il a déjà fait du video, les images ont toujours été un élément important dans sa carrière, il est temps d'en jouer et d'embrasser ce qui s'en vient. À l'automne 1979, voyant un spectacle de son ami Lou Reed qui met entre autre en vedette l'architecte guitariste Chuck Hammer, David est si impressionné qu'il l'engage pour son disque. Carlos Alomar en sera aussi. Toujours à la guitare rythmique. David réinvite aussi Robert Fripp. Pour au moins 6 morceaux. Et Pete Townshend, guitariste de The Who sera d'un morceau, aussi. Il veut de la guitare, il en aura. Pourtant il a payé et réservé Adrian Belew, qui était de Lodger, mais ce dernier ne sera pas rappelé. Il en sera déçu, mais hey, il a quand même été payé. Pour disponibilité.L'ironie veux que j'ai toujours trouvé que cet album était un album printanier, et justement, il a été créé, printanièrement. Ça me plait de partager ce flair qu'avait Bowie.
De février 1980 à avril de la même année, David est en studio. Ne veut plus improviser ni écrire en studio. Il arrive préparé avec des textes écrits sur deux mois. On enregistre au Power Station Studio de New York. On fera aussi des enregistrements en Angleterre, à Londres. Sa "trilogie berlinoise" a été un succès critique, mais pas excessivement payante pour la maison de disques, RCA. En est-il encore capable ? Veut-il rendre RCA ou DeFries riches ?
La chanson d'ouverture devait être chantée avec celle qui est aussi son amoureuse alors, l'actrice d'origine japonaise Michi Hirota, qu'il découvre sur scène dans une version de The King & I. Mais comme la traduction de ce qu'on donne à Hirota est mal rythmée par rapport à ce que Bowie chante, on choisit alors de lui faire dire le texte de manière presque virile, pendant que Bowie chante et hurle comme un pur dégénéré. Bowie reste expérimental tout de même. Punk burlesque. On fait aussi une version plus conventionnelle et sur un rythme ralenti. Bowie seulement. Et de légères variations dans les paroles. Il s'agit d'une chanson de l'époque de The Man Who Sold The World d'il y a 10 ans qui s'appelait Tired of my Life. Bowie veut ouvrir avec ce morceau qui place dans un état de frayeur qui sera suivi d'un morceau beaucoup plus rayonnant, d'abord appelé Cameras in Brooklyn, aux propos dadaïste inspirés du peintre allemand Hans Richter, lui empruntant même les lignes The vacuum created by the arrival of freedom and the possibilities it seems to offer. En effet Bowie se découvre une saine liberté séparé de DeFries, Angie, et bientôt RCA, maison de disque dont il reste aigri trouvant qu'ils gèrent sa carrière "au passé" multipliant les compilations et les succès passés. Rare chanson chantée en harmonie de bout en bout (avec Chris Porter et Lynn Maitland).
La chanson titre inspirera The Smiths. Il s'agit d'une refonte de Running Scared que Bowie présente à Iggy Pop en 1975 inspirée maintenant de la batterie de Stephen Morris de Joy Division sur She's Lost Control. La tension continue dans une frayeur démentielle avec les guitares distordues de Visconti, Fripp & Alomar formant un vent de panique est encore très intéressante de nos jours. Roy Bittan, du E Street Band de Bruce Springsteen, qui était aussi apparu sur Station to Station, enregistre dans le studio voisin, l'album The River du Boss et sa gang. David l'invite sur ce qui s'appelle alors People Are Turning To Gold qui se veut une comptine dans le genre qui l'a marqué, enfant: Inchworm de Danny Kaye. Bittan y joue d'un piano électrique à la suggestion de Visconti et Andy Clark ajoute quelques claviers. Le morceau, agrémenté de la guitare nettement originale de Chuck Hammer, sera un immense succès. Un #1 en Angleterre pour Bowie et un moment marquant de sa carrière alors qu'il revisite ses personnages du passé, Pierrot dans le clip qui rappelle ses années de mimes avec Lindsay Kemp et Major Tom, astronaute devenu junkie. Clin d'oeil à ce que Bowie a aussi été il n'y a pas si longtemps. Le clip, car ce sera le premier single en août, est lancé un mois avant la sortie de l'album et sera le plus coûteux investissement dans ce qui est encore assez rare à 250 000 Livres Anglaises (2 millions de nos jours). Une ancienne amoureuse, Natasha Korniloff est responsable des costumes. David Mallet y est encore à la réalisation et utilise un jeu de couleurs alors encore tout neuf pour l'époque. Dans le clip, Bowie se rend dans un bar qui lui rend hommage, le Blitz. et y recrute les gens qu'il trouve les plus intéressants, donc Steve Strange qui sera bientôt de son propre band, Visage. La pochette de Brian Duffy sera inspirée des costumes et maquillages de ce clip. Fashion, d'abord appelée Jamaica, est inspiré d'un reggae que jouait Andy Clark avec son synthétiseur et d'un morceau de 1971 retravaillé. Dans le clip Bowie montre "A brand new dance" avec son band, qui comprend étrangement le bassiste de Hall & Oates, au lieu de George Murray. Bowie citera le mouvement de piano à 1:02 et le même à 2:51 sur Blackstar (2:10 et ailleurs) sur son album final. Le mouvement fait dans le clip à 0:32, est le même que font deux femmes dans le clip de Ashes to Ashes à 1:11. Le second coté de l'album est nettement plus faible. It Happens Everyday devient Teenage Wildlife où Bowie s'adresse à lui-même, adolescent, et écorche ses imitateurs, mais vise aussi son fils de 9 ans. J'en ai alors 8. Je ne connais pas vraiment encore David et son oeuvre, mais ça ne saurait tarder, à cet âge commence pour moi une série de passion (le hockey, la musique, la lecture, les films, les cartes de Star Wars/Hockey/baseball). Il reprend I Am a Laser qu'il avait composé pour les Astronettes, et en fait Scream Like A Baby, au propos plus social. Carlos Alomar suggère de refaire un morceau de Tom Verlaine de son dernier album. Bowie invite Verlaine qui branchera sa guitare dans pas moins de 30 amplificateurs différents. Et au final on ne gardera rien de ce qu'il a fait, Chuck Hammer refaisant tout. Pete Townshend arrive avec une attitude de marde, plein d'araignées au plafond, amer de situations personnelles qui l'écoeurent, et une bouteille de vin qu'il avale presque d'un trait. Il n'offre qu'une demi-heure mais c'est selon moi ce qu'il y a de mieux sur l'album. L'intro de Because You're Young (dont le reste est assez ordinaire) devrait être ma sonnerie de téléphone depuis des années, mais je suis trop dinosaure pour y arriver tout seul. Faudra que je parles à des plus jeunes. Bowie, dans l'esprit de Sgt Pepper's Lonely Heart Club Band, clôture son album avec une reprise modifiée de la chanson d'ouverture. Un morceau instrumental sera laissée de côté, utilisée (alors) seulement dans un commercial, au Japon.En août, Bowie est demandé pour remplacer Philip Anglim qui a d'autres engagements afin de jouer au théâtre John Merrick dans The Elephant Man de Bernard Pomerance, ce personnage inspiré de l'homme difforme du 17ème siècle du même nom, sauvé du cirque par des scientifiques, mais jamais complètement heureux. Bowie sera un triomphe au théâtre, de Denver, de Chicago et finalement à Broadway.
En décembre 1980, John Lennon est assassiné devant chez lui par un déséquilibré, à New York. Ce même déséquilibré avait un billet pour aller voir The Elephant Man le lendemain. John & Yoko aussi devaient s'y rendre, Tous les trois étaient de la première rangée. Sur le billet retrouvé chez l'assassin était encerclé le nom de Bowie au crayon feutre noir. Était-il le plan initial du désaxé ? Le plan B ? Sa prochaine cible ?Bowie choisira de jouer quand même le lendemain de la tragédie. Dans la première rangée, trois bancs vides. Ce n'est que plus tard qu'il apprendra à qui appartenaient ces bancs. Terrorisé et déprimé à la fois de perdre cet ami ainsi, il revient se terrer en Suisse pour 1981. S'engage un garde du corps, un ancien militaire qui est mesure de tuer au besoin.Bowie, en Suisse, a une amitié avec le band Queen avec lesquels il croise le chemin depuis toujours. À Montreux, Queen enregistre des voix sur un morceau de leur album Hot Space qui s'y travaille. Mais trouvant que sa voix n'est pas à la hauteur de ce qu'il pouvait offrir, il leur demandera de retirer celle-ci du produit final. En revanche, John Deacon ne cesse de faire ce petit riff de base qui accroche tout le monde. Bowie et Mercury tricotent autour de ce riff et concoctent ensemble un des plus mémorables morceaux des deux artistes. La somptueuse Under Pressure, qui comprend les bouleversantes lignes toujours d'actualité (ma bible): Cause love's such an old fashionned word, and love dares you to care for the people on the edge of the night and love dares you to change our way of caring about ourselves (...) this is ourselves, chantées par Bowie, vers la fin.
J'en ai encore des frissons de nos jours. Et les ai écrits à des homophobes encore la semaine dernière.Depuis la mort de Lennon, il n'a pas le réflexe de la scène. Et si ça donnait des idées à quelques déséquilibré(e)s ? On lui demande des images de lui en spectacle pour l'excellent mais glauque Christiane F.-Wir Kinder Vom Bahnhof Zoo, film Allemand culte d'Uli Edel.
On lui demande de participer à Baal de Bertold Brecht comme acteur et d'offrir 5 chansons. On pratique un mois et on tourne pour la télévision sur BBC2, en mars 1982. peu de temps après, Paul Schrader choisit d'adapter le film français de 1942, La Féline de Jacques Tourneur. Il demande au roi du disco de Munich Giorgio Moroder de s'occuper de la trame sonore de son film en cours. Depuis 1969, Moroder a donné à Munich une solide réputation de ville musicale. Il a oeuvré avec les Rolling Stones, The Human League, Donna Summer, Queen. Il a rendu la trame sonore de Midnight Express si bonne qu'il gagne l'Oscar de la meilleure trame sonore. Il est aussi derrière Call Me de Blondie, pour American Gigolo. Moroder veut Bowie pour la chanson titre et se rend le rejoindre à Montreux. Bowie prend moins qu'une heure pour lui faire le morceau. Moroder n'a jamais travaillé aussi vite, il demande de faire davantage de prises. Bowie trouve que c'est parfait comme ça, après deux prises. Moroder concède. Ce sera son travail le plus rapide, mais aussi, selon lui, son meilleur.J'ai 10 ans, je vois peut-être pour la première fois, du moins je prends conscience de ce que je vois, David Bowie en Pierrot dans le clip de Ashes to Ashes. Quelle drôle de chanson. Moi qui écoute alors Iron Maiden (inspiré par les trames sonores de mes vestiaires de hockey, où j'y brille tant que je gagne un championnat des marqueurs, 109 pts, 67 buts, 42 passes-Flex), Madness ou Dexy's Midnight Runner.
Bientôt j'achèterai les 33 tours Startracks de K-Tel et Rock'83, aussi de K-tel, des compilations qui m'ouvriront les sens et qui reprennent des succès de 1982 ou 1983. Mes deux premiers 33 tours à vie.
Pour l'instant, Bowie m'est juste étrange et pas vraiment sous le radar.
Je me pense étrange moi-même, mais ne le sais pas encore entièrement. Je ne détonne pas tant. Sinon que je suis bon à l'école et meilleur encore au hockey.Personne ne sait vraiment que je suis catégoriquement d'une autre planète.
Ça restera secret.
1982 se ferme, Bowie n'a plus de contrat de disque, plus de gérance, plus d'épouse.
Mais bien des conquêtes brouillonnes.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire