Même si la dernière tournée a été payante, l'homme de 41 ans comprend qu'il n'est plus la saveur du jour, ni le parfait précurseur qu'il était, et qu'il joue peut-être à "essayer de paraitre jeune". Il ne pense pas encore se retirer, mais son rôle sur scène doit changer. Les routines de danse et les costumes multicolores ne semblent plus appropriés. Il tient à explorer encore et encore.
De plus, travailler en équipe comme il l'avait fait avec les Araignées de Mars ou Young Americans, Station to Station et la suite commence à lui manquer. C'est à ce moment qu'une rencontre fortuite le replace sur la route de Reeves Gabrels, qui le ramènera dans l'état d'esprit collégial qu'il recherchait. Sara Terry travaillait au marketing de la Glass Spider Tour. Son époux, Gabrels, n'était pas le genre à se "vendre" aux autres. Il est guitariste pour la formation The Dark et Sara glisse une cassette à David le mettant en vedette. Quand Bowie le rencontre, leur intérêt commun pour le jazz et l'architecture les rapprochent davantage. Bowie aime son jeu de guitare qui croise les talents de Earl Slick et de Robert Fripp.
Début 1988, Bowie est sensible aux sons des Pixies, Sonic Youth ou Dinosaur Jr, qui ouvrent la porte au grunge à venir. Ces bands rejettent les batteries pré-enregistrées et les synthés. Le grunge sera très guitare (généralement lourde) d'abord. En juin, Bowie invite Gabrels pour un spectacle mettant en vedette la troupe de danse Québécoise Lalala Human Steps, et dont les fonds iront aux urgentes rénovations de l'Institut Contemporain des Arts, à Londres.
En retravaillant avec lui Look Back In Anger, de Lodger, Bowie se convainc qu'il veut créer en équipe avec Reeves.
Deux mois plus tard, on s'installe à Montreux pour y travailler des morceaux en invitant les frères Sales, Hunt à la batterie et Tony à la base, avec lesquels Bowie avait travaillé pour Lust for Life, album d'Iggy Pop de 1977. Kevin Armstrong qui avait été guitariste sur Dancing in the Streets et Absolute Beginners ne sera pas membre officiel, mais invité sur quelques morceaux. Il trouvera difficile de jouer avec la batterie trop lourde de Hunt Sales qui enterre tout selon lui. On choisit le nom du deuxième morceau qu'on tricote comme nom de groupe. Le jeune Tim Palmer est amené au mixage, beau flair à nouveau, afin de donner un air frais au produit fini. Palmer, dans deux ans, sera le mixeur d'un des albums les plus important du style grunge, Ten de Pearl Jam. On continue de faire référence à Jean Genet pour un des meilleurs morceaux de l'album, et le troisième single. on critique l'usage de la drogue (même si Hunt y plonge) sur un air qui évoque The Troggs, à Nassau, et en mer, on compose un excellent morceau avec Armstrong, le premier single est mon morceau préféré, rageur, proto-punk, video à l'appui, Bowie écrit son amour pour Melissa Hurley, de 18 ans, sa cadette. on reprend Lennon, la guitare stridente de Gabrels croise la meilleure imitation d'Anthony Newley, Bowie écrit inspiré de ce que Sean Penn lui confesse sur Madonna, on jase de Ted Bundy qui vient de confesser un paquet d'assassinats avant sa chaise électrique, on enregistre à Nassau rapidement et inspiré de Metallica, et on ferme en demandant à Gabrels d'improviser sa guitare comme il l'aurait fait sur du jazz. Stratégie que Bowie avait fait avec Mike Garson pour Aladin Sane, au piano. On électrise et on offre viril tout en s'habillant de manière très classique, chic complet veston cravate, sur la pochette comme dans les clips. Pour la tournée qui suivra, Ce sera simplement du Tin Machine. Dans des salles de pas plus de 2000 spectateurs. Le Roxy de L.A., où on y tourne les clips. À la Cigale de Paris. Au Paradiso d'Amsterdam. Les billets se vendent parfois à autour de 600$. Ce qui est une folie alors, le prix régulier de nos jours. Même pas pour une bonne place.Bowie voulait renouer avec son public, mais le voulait-il tant que cela ? Il présente le band comme un band. Comme une vraie démocratie, lui comme membre d'un band. Mais Bowie a 10 ans de plus que Gabrels et Hunt Sales. 7 de plus que Tony Sales. Et une carrière plus nourrie. Gabrels apprend la business d'eux. Les frères Sales repoussent ses limites en multipliant les conseils au "petit frère" mais Gabrels met son pied à terre et leur demande de fermer leur gueule de temps en temps. Ça marche un peu.
Le public reste déstabilisé. On voudrait voir et entendre du Bowie. Ils ne feront que du Tin Machine et quelques reprises de bands qu'ils aiment. Mais tout le monde reconnait Bowie sur scène. Même si il porte la barbe. Et la maison de disque n'est pas nécessairement contente de mousser un album d'un band que personne ne connait de nom. Ils avaient signé Bowie pas Tin Machine. L'album lancé en 1989 ne donne pas nécessairement les résultats escomptés. Trop brut comme son de guitare pour les radios, donc, ça ne joue pas. EMI abandonne Bowie. Même si la maison de disques a l'impression que c'est Bowie qui les avait abandonné, avant. En pleine tournée de Tin Machine, Bowie compose toujours avec le band. Rykodisc est choisie pour resortir tout le catalogue Bowie. Un fameux coffret est lancé et je l'achètes en version cassette. La CD existe, mais n'a pas encore fait ses preuves. Ça prendra deux ans encore avant que je ne n'achètes mes premiers CD de Bowie. J'ai tout de Bowie en cassettes enregistrées de 33 tours, sauf Never Let Me Down et Tin Machine. Que j'ai alors en cassette (mais corrigerai la chose dans les années 90). Le coffret Sound & Vision me réconcilie avec les dernières offrandes de Bowie. Une version de Candidate, introuvable de nos jours, vraiment introuvable ailleurs que sur Youtube, me plait beaucoup. On a du matériel pour un deuxième effort qu'on commence à enregistrer dès septembre, entre Los Angeles et Sydney, deux villes d'impact dans la vie de Bowie.La ville de la mort pour la première, de la renaissance pour la seconde. Selon lui.
Le coffret se vend si bien qu'une tournée "d'adieu" est mise sur pied pour faire encore plus d'argent. Jusqu'en décembre on travaille ce qui deviendra Tin Machine II. Mais Bowie commence 1990 avec les préparatifs pour la tournée Sound & Vision. Et à partir de mars il commence sa tournée mondiale, à Québec, le 4, un mois jour pour jour après avoir fêté mes 18 ans, un spectacle que je ne manque pas, au Colisée de Québec. Un écran géant "révolutionnaire" pour l'époque montrant des scènes pré-tournées avec Louise Lecavalier de Lalala Human Steps, devait fonctionner, mais ne le fera que pour la première chanson (Space Oddity) avant de ne plus fonctionner du tout pour le reste du spectacle. Québec est le tout premier spectacle de la tournée, nous aurons été un test de prod. Mais Bowie avec sa guitare, quelque fois son saxophone, Adrian Belew, à la guitare électrique et directeur musical, Erdal Kizilçay à la basse et aux voix, Rick Vox aux claviers et Micheal Hodges à la batterie sont sur scène et me ravissent les sens.Bowie veut enterrer un peu. Et repousser autrement.
Tin Machine lui donne cette chance. Travailleur en équipe.
Il est sur le point de se bâtir une nouvelle équipe au privé aussi. Joey a 18 ans, il choisit de se faire appeler Duncan. Bowie s'intéresse au rock brut, mais industriel également. Il s'informatise davantage.
Et étrangement, s'humanisera aussi. Melissa et lui c'est fini. L'écart d'âge y a joué.Il est Tin Machine, mais écoute inlassablement Pretty Hate Machine.
S'ouvrira encore un nouveau monde pour lui.
Et pour nous.
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