dimanche 26 février 2023

Plastic Soul

1974. 

La tournée The Diamond Dogs Tour (que Tony DeFries insiste qu'on appelle The Year of the Diamond Dogs, sans succès) prends deux mois de pratique au printemps avant de se lancer à Montréal, en juin.

Micheal Kamen est au piano électrique, au synthétiseur Moog, au hautbois et est directeur musical. Earl Slick fait son apparition à la guitare. Mike Garson est de retour au piano et au mellotron. David Sanborn est au saxophone alto et à la flûte. Richard Grando est aussi à la flûte et au saxophone baryton. Herbie Flowers est à la base. Tony Newman, à la batterie. Pablo Rosario, aux percussions. Gui Andrisano & Warren Peace sont danseurs et aux voix. 

Mark Ravitz est le concepteur scénique et l'écho de la mégalomanie de Bowie. Il fera plus tard les mises en scènes des spectacles de Kiss, de Whitney Houston et des Backstreet Boys, mais aussi sera l'homme derrière The Glass Spider Tour, en 1987, pour David. Il fait construire un décor qui sera Hunger City. Ça pèse pas moins de 6 tonnes et exige plus de 20 000 parties amovibles, incluant une variétés d'accessoires comme des lampadaires de rues, des chaises, des passerelles. Ces accessoires ne sont prêts que 6 jours avant le spectacle Montréalais. Il y aura fréquents bris techniques. Une passerelle s'effondrera avec Bowie dessus. À chaque fois qu'il termine Space Oddity, dans une sorte de bulle, au dessus de la foule, il y reste coincé pour y faire encore quelques morceaux. Le décor est inspiré de ce que fait l'artiste allemand George Grosz. Mais quand il fait Big Brother dans une sorte d'isoloir aux murs de miroirs ou quand il chante Time au creux d'une main géante, l'effet est fort intéressant. 

Le décor coûte 275 000$ par spectacle, l'équivalent de 1 million 510 milles $ de nos jours. Au début, on veut faire 5 soirs de spectacles par ville, mais ça en demande trop à chaque citoyen, la demande n'est pas la même partout. On laisse vite tomber. Bowie est extrêmement sous l'effet de la drogue, de l'alcool, souvent les deux, toutes cette première partie de tournée. À Tampa, en Floride, un conducteur conduisant le camion contenant la majeure partie du décor, fait un sérieux accident quand le chauffeur se fait piquer par une abeille, au volant. Ce soir-là, on jouera sans décor. 

En juillet 1974, DeFries veut faire enregistrer un album en spectacle, tout juste en dehors de la ville de Philadelphie. Les musiciens réclament alors 5000$ chacun en plus de leur paie habituelle pour ce spectacle immortalisé sur disque. Un double album en naitra

On prends le mois d'août "de congé". Mais au contraire, on crée en août. 

Il y avait déjà ombre de funk avec 1984 et de soul, avec Sweet Thing et Rock'n Roll With Me sur Diamond Dogs. Il avait écrit Taking It Right pour Lulu, mais jamais elle n'enregistre le morceau. Enregistrant avec Garson et Visconti, il fait la rencontre en studio, à New York, du guitariste Carlos Alomar. Bowie reste impressionné qu'Alomar eût joué et chanté avec James Brown dans son band. Avec Wilson Pickett et Chuck Berry aussi, parmi les musiciens du Apollo Theater. Sa guitare funk est admirée de tous. Les 15 prochaines années garderont Alomar tout près de Bowie. Après avoir supervisé ce qui deviendra David Live, Bowie et son équipe s'installent au Sigma Sound Studios de Philadephie où des réguliers jeunes fans les attendent dehors. Ava Cherry, qui partage le lit de Bowie, lui fournit tout plein de disques d'artistes à la peau noire pour qu'il se mette mentalement dans l'esprit du "Philly sound". 

Bowie veut engager MFSB (pour Mother Father Sister Brother) un groupe d'une trentaine de musiciens de sessions, en résidence au Sigma Studios. Mais seul le percutionniste Larry Washington est disponible en août. Sanborn et Garson sont gardés de la tournée. Slick est remplacé par Alomar. Pablo Rosario reste aussi aux percussions. Andy Newark, ex-batteur de Sly & The Family Stone est engagé. Willie Weekes, des Isley Brothers, est à la basse. Quand Visconti, un bassiste, apprend que Weekes est en studio, il accourt quand Bowie lui demande de l'aider. Weekes était son idole, plus jeune. Ava Cherry, la femme d'Alomar, Robyn Clark, et Luther Vandross sont aussi engagés comme choristes. 

Plutôt bien cocaïné, Bowie travaille vite et beaucoup. Sa voix en est affectée et lui donne quelque chose d'assez rapeux qui fait plus "noir" pour ce maigre limey blanc. After Today, Who Can I Be Now ? It's Gonna Be Me, un nouvel enregistrement de John, I'm Only Dancing, Lazer, Shilling the Rubes, une version de It's Hard To Be a Saint in the City de Bruce Springsteen et des premières versions de Young Americans y sont enregistrés. Les fans dehors, appelés les Sigma Kids, sont invités à l'intérieur afin d'entendre le nouveau matériel et dire ce qu'ils en pensent. Échanger avec le band. L'album en cours s'appelle tour à tour: Dancin', Somebody Up There Likes Me, One Damned Song, The Gouster (le nom des sessions), Shilling The Rubes et Fascination. Les Sigma Kids sont fascinés par ce qu'ils entendent. 

En septembre, on reprend la tournée mais tout a changé. Bowie parle d'avoir créé le plastic soul. Pas complètement soul car selon lui seuls les humains à la peau noire peuvent vraiment faire du soul, donc une version forcément plastique du soul de sa part. Doug Rauch remplace Flowers, à la basse. Carlos Alomar se rajoute à l'équipe. Greg Errico est à la batterie, Ava Cherry & Robyn Clark joignent les choeurs. Anthony Hinton, Diane Sumler et Luther Vandross aussi. Bowie demande même à Vandross de faire sa première partie pour préparer au son qu'il compte introduire dans ce qui devient la soul tour. Puis à partir d'octobre, la Soul/Philly Dogs Tour. Avec Emir Kassan à la basse et Dennis Davis à la batterie. Une équipée de seulement 15 maintenant. On est plus modeste. Pour la première fois depuis longtemps ne chante sous aucune identité de personnage.

Fin décembre, la tournée est terminée aux États-Unis et Bowie enregistre Fascination et Win, à New York. Le premier morceau est une reprise de Funky Music (is a part of me) de Luther Vandross. Bowie lui demande si il peut en changer les mots. Vandross est si impressionné qu'il lui dit qu'il peut même en changer la musique si il le souhaite. Le second morceau avait eu plusieurs titres déjà, c'est maintenant Win. Même chose pour Right qui aura plusieurs incarnations On en fait une version finale début janvier. On peaufine et enrichit la chanson titre du prochain album. 

En septembre 1974, Bowie et John Lennon s'était rencontré dans un party chez Elizabeth Taylor. Joni Mitchell sera inspirée de Bowie ce soir-là, pour un de ces morceaux. Bowie et Lennon s'entendent bien et quand ils se recroisent pendant que Lennon enregistre son album Rock'n Roll dans le même studio, Alomar, Bowie et Lennon font Fame et une reprise de mon morceau préféré de Lennon, Across the Universeavec Harry Maslin en production, Visconti étant à Londres en remixage. 

En janvier 1975, on complète l'album.  Bowie veut que Norman Rockwell peigne la couverture, mais ce dernier lui demande 6 mois de préparation et de travail, ce que Bowie/DeFries ne sont pas prêts à attendre. Un documentaire suivant Bowie appelé Cracked Actor est tourné et fin janvier, Nicholas Roeg voit une copie du documentaire. Il a trouvé son Thomas Jerome Newton pour son film The Man Who Fell To Earth, racontant l'histoire d'un extra-terrestre atterri du ciel pour sauver sa famille, là-haut. 

Le 7 mars, son 9ème album est lancé. Il est invité, une semaine auparavant, à faire une amusante présentation à la soirée de remise des grammys, prix de la musique aux États-Unis. Il se peut qu'il ait pensé la blague lui-même, misant sur le fait qu'il soit perçu si marginal et étrange, presque martien, (c'est un secret) ou quelqu'un lui a écrit. 

Young Americans sera un très fort succès pour Bowie. Un blanc qui ne fait pas de la musique de noire, dit-on, de la musique de noir et un blanc qui se fondent l'un dans l'autre. Bowie vend beaucoup dans la communauté noire et sera un rare blanc, (le second après Elton John) à passer à Soul Train

Fame devient son premier #1 aux États-Unis et au Canada. Un morceau retravaillé d'un riff de son guitariste Carlos Alomar. Et avec un Beatle. 

La guitare qui me coule dans l'oreille comme une rivière de Right me devient impérissable avec le temps. Toujours meilleure. L'élan de sax et le clavier circulaire de Somebody Up There Likes Me aussi. 

Slick et Alomar se partagent les tâches à la guitare. 

Pour le reste de 1975, Bowie est appelé par l'équipe de Roeg et tourne The Man Who Fell to Earth. Peter O'Toole avait d'abord été anticipé. Bowie sera très cocaïné tout le tournage. Et ne boit que du lait tout en mangeant du piment. Il prend jusqu'à 10 grammes par jour de coke. Bowie est littéralement d'une autre planète sur le tournage, en plus de vivre le métier d'acteur alors qu'il est chanteur. Aliéné, alien.

Comme les jours de tournage sont éternels, Bowie lira beaucoup. Souvent à moitié, mais aura autour de 400 livres en sa compagnie. Excessif. 

Bowie est pensé pour travailler une trame sonore, ce qu'il commence à faire, mais contractuellement ce sera impossible. John Phillips des Mama's & The Papa's le compositeur japonais Stomu Yamash'ta et Mick Taylor s'occuperont de la trame sonore, au final. 

Des problèmes contractuels empêcheront une trame sonore avant 2016, pour les 40 ans de la sortie du film. 

Un film culte, en ce qui me concerne. Que j'ai précieusement dans ma Vievliothèque chérie.

Bowie gagnera un Saturn Award pour le meilleur acteur pour son rôle d'aliéné terrestre. 

Ce qu'il devient... 

Bowie passe de New York à Los Angeles pour le tournage. L.A. où la drogue est si facilement accessible. Là bas, il habite chez Glenn Hughes, bassiste de Deep Purple. Il visite Iggy Pop, qui est en cure de désintoxication. Bowie sera le seul à le visiter. 

David Bowie, a 28 ans, est squellettique. 

Il pèse tout juste une centaine de livres.  Il lit beaucoup. Compulsivement. Ne dort presque jamais. 

Fame, puts you there where things are hollow. 


dimanche 19 février 2023

Halloween Jack & Chiens Diamantés

Novembre 1973.

Le magazine Rolling Stones qui avait suivi Bowie et ses Araignées de Mars jusqu'à la fin, fait une entrevue de David avec l'auteur de la beat generation William S.Burroughs. Bowie en gardera entre autre la technique du cut-up, co-inventée par Burroughs, d'écrire en prenant des mots indistincts les uns des autres et en en faisant des collages hasardeux, retravaillés, au besoin et à l'instinct. 

En fin de parcours, avec Ronson, Bolder et Ken Scott, tous largués de la suite, Bowie est submergé d'idées nouvelles et ne veut plus être identifié strictement à Ziggy Stardust. Angie et lui sont de plus en plus envahis par des fans à Haddon Hall et ça devient invivable. Le couple déménage d'abord à Maida Vale, dans un appartement loué à l'actrice Diana Rigg, et achète finalement sur Oakley Street, à Chelsea, plus grand. Tony DeFries trouve tout ça absurde et hors de prix pour lui. Bowie ne comprend pas, il vend pourtant prétendument maintenant près du million. 

Bowie fraye avec Rod Stewart & Ronnie Wood de The Faces. Par Wood, il fait aussi la connaissance de Mick Jagger et de Bianca Jagger. À trois, Wood, Jagger et Bowie, ils écrivent un soir la chanson It's Only Rock'N Roll (But I Like It). Dont Keith Richards effacera tous les passages de Bowie pour enregistrer les siens par dessus, et y faire juste assez de nouveaux arrangements pour que soit cohérent son nom dans les droits d'auteur et pas celui de David. Bowie multiplie les projets. Il co-produit et joue sur une reprise de The Man Who Sold The World qu'enregistre Lulu. Il joue du sax alto pour un morceau de Steeleye Span, et forme un trio de Ava Cherry, Jason Guess & Geoff McCormack qu'il nomme The Astronettes. On enregistre avec eux un projet qui s'appelle People From Bad Homes, qui sera presqu'aussitôt tabletté . Lancé en 1995, le projet sera rebaptisé The Astronettes Sessions. Bowie retravaillera certaines de ces chansons, pour lui, dans le futur.

Il miroite avec l'idée de faire de Ziggy Stardust une comédie musicale dont on ferait 40 scènes, présentées dans le désordre selon la méthode du cut-up de Burroughs, avant de penser maintenant faire autre chose que du rock'n roll. Il a envie de plus expérimental. Il a toujours envie de comédie musicale mais cette fois de faire d'une adaptation de 1984 de George Orwell. Quelques nouveaux morceaux naissent de cette thématique, au moins 4. Rebel Rebel, 1984/Dodo, Big Brother et Rock'n Roll With Me. Rebel, Rebel nait des leçons de guitariste que lui donnent Wood et Jagger.  C'est Bowie lui-même qui joue le riff avec Alan Parker à la guitare rythmique qui ajoute les trois dernières notes pour lui. Garson est toujours à bord, au piano, piano électrique et synthés. Herbie Flowers sera bassiste. Aynsley Dunbar, à la batterie. La descendance d'Orwell refuse à Bowie le droit d'adapter l'oeuvre majeure du défunt George. Bowie avait écrit tout de même 1984 dans les sessions d'Aladdin Sane et Big Brother avec cet objectif.

Tony Visconti, après avoir travaillé avec Marc Bolan, revient à la production. Il fera aussi les arrangement de cordes pour 1984. Keith Hardwood est le mixeur. Bowie doit maintenant se débrouiller tout seul. Il joue gros, mais afin de contrôler l'angoisse qu'un tel nouveau défi peut imposer, la drogue est toujours présente pour diffuser tout ça. Il s'inspire de l'univers de William S.Burroughs pour penser un personnage d'Halloween Jack, et de jeunes rescapés de l'apocalypse réfugiés sur les toits d'une ville en ruines. Keith Hardwood partage son travail du studio de Led Zeppelin qui enregistre Houses of the Holy au studio de Bowie, qui se sert du studio comme laboratoire. Une version très différente, et que je trouve personnellement si bonne (mais introuvable ailleurs que sur youtube) de Candidate y est composée. Je donnerais cher pour l'avoir sur mon téléphone ailleurs que de Youtube.

En octobre 1973, Bowie avait fait un spécial télé appelé The 1980 Floor où il avait présenté 1984 pour la première fois, fraichement composée. C'était le dernier morceau sur lequel travaillerait Ken Scott. Le retour de Visconti qui reprenait contact avec Bowie peu de temps après allait être une association qui sera extraordinairement importante pour la suite de l'oeuvre. Dodo avait aussi été composée dans le même souffle er croisée à 1984. Bowie créé beaucoup car il doit maintenant se prouver sans Ronson qui était un moteur créatif important. Il veut le prouver à tous.

Son mariage mort, il partage son lit régulièrement avec Ava Cherry, ce qui le met en contact avec la musique soul qu'il connaissait mais dans laquelle il s'investit davantage. Il a vent par elle que Tina Turner vit des moment difficiles liés à Ike Turner, qui est brutal à son égard. Bowie entre en contact avec Tina et lui fait faire des voix sur 1984. La chanson titre, Diamond Dogs, un blues, dans l'esprit de Jean Genie, est composée et des premières versions plus soul de que ce qui s'appelle alors Take It In Right /Can You Hear Me, est écrite. On avait commencé tout ça au Trident Studios de Londres, on termine quelques enregistrements au Ludolph Studios où les Stones enregistrent It's Only Rock'n Roll.  Jagger lui dira que leur projet de pochette d'album a été mis entre les mains du peintre artiste Belge, Guy Pellaert. Bowie est charmé par les créations de ce dernier. 

Avant de devenir une parodie de lui-même, il a envie de signer un dernier album glam-rock. Inspiré de l'excellent livre The Wild Boys de William S.Burroughs, il compose une intro présentant l'univers d'Halloween Jack et de ses semblables croisées de passage de Wizard of Oz. Après l'annonce qu'il ne restait que 5 ans à vivre, il annonce maintenant que ce n'est pas du rock'n roll*, que c'est du génocide. Halloween Jack est un real cool cat vivant sur les toits du Manhattan Chase Building dans l'espace urbain décrépi de Future Legend. Les Chiens Diamantés sont des jeunes sauvages vivant sur les toits des gratte-ciels, circulant en patins à roulettes parfois parmi les corps éparpillés au niveau du sol. Un riff de saxophone est inspiré par les Stones qui enregistrent à ses côtés. Il retravaille de manière plus soul, Candidate, qu'il croise à Sweet Thing avec laquelle il composait déjà, depuis un moment. Plusieurs diront que cette suite est le fait saillant de l'album avec ses références à la décadence, Charles Manson et Muhammed Ali. Bowie y confesse être peu à peu anéanti par ses propres créations sur scène. 

Par amitié de longue date avec McCormack, et par loyauté, Bowie lui accorde un crédit d'auteur pour Rock'N Roll With Me, composée autour des Astronettes. McCormack avouera n'avoir contribué que le piano (et a accompagné aux voix, bien entendu). Gothique et sombre, We Are The Dead reste dans l'esprit du monde apocalyptique de Burroughs. La guitare Wah-Wah est accentuée en studio par Visconti et Parker sur 1984. Shaft, d'Isaac Hayes avait fait fureur avec la popularisation de ce son. On se rapproche du funk. Big Brother qui ferme l'album est une forme de menace enveloppée de dangereux charme musical qui se termine avec un morceau tout à fait expérimental, une variation du two minute hate qu'il avait travaillé sur le 1980 Special Show, à la télé qui lui, était inspiré d'Orwell. C'est un morceau composé en 5/4 et 6/4 avec une guitare au son parfaitement discordant. Et un son répétitif rappelant la fin de A Day in The Life des Beatles qui avaient inséré un morceau expérimental en fin de chanson "pour faire capoter vos chiens dans le salon". 

Tiré d'une session de photos, Bowie demande à Peelaert de faire une pochette présentant Bowie mi-chien, mi-homme. C'était l'idée de base. La première version de l'album est alarmante, entre les jambes du chien on y voit un large pénis. Ce sera effacé pour les presses suivantes. Après le single de Rebel Rebel lancé en février, qui connait un excellent succès, l'album est lancé en mai, 5 mois avant celui des Stones, ce qui fâchera Jagger qui sera insulté que les gens pensent que ce sont eux qui copient Bowie avec la pochette signée Peelaert.

Une tournée est annoncée pour juin, Bowie voit très grand pour cette tournée. DeFries nourrit la mégalomanie qui ne fait pas penser à Bowie qu'il pourrait gagner nettement plus, personnellement. Tant qu'il est servi par ses idées artistiques, tant qu'il obtient tout ce qu'il a besoin, Bowie jamais ne se plaint. 

Il devrait. Mais ne le sait pas encore. La drogue s'installe confortablement dans ses routines.  

Commenceront de nouvelles aventures.

*On a tout volé aux gens qui ont la peau noire. 


dimanche 12 février 2023

Fantôme de Ziggy

C'était le dernier spectacle de la fort fructueuse tournée Ziggy Stardust. Sans le rendre nécessairement riche, Bowie ne manquait plus de rien et son succès était aussi public que critique, tout en restant marginal. Curieux cocktail. 

Le personnage et son univers seraient un jour culte. 

C'était au Hammersmith Theatre et étrangement, David Bowie restait introuvable. Ce qui n'était jamais bon signe avant un spectacle. Particulièrement, le dernier de la tournée. 16 mois de tournée qui leur avait fait le tour de l'Europe, du Japon, de l'Amérique du Nord. Tout ça avait commencé avec une photo dans une nuit trop froide pour tout le band, dans la ruelle d'un pub, et maintenant, il remplissait les salles. On allait filmer ce dernier spectacle pour la postérité et des invités de marques, Mick Jagger, Lou Reed, Ringo Starr, Tony Curtis allaient y assister. C'était juillet 1973. Bowie serait retrouvé dans la ruelle arrière, ayant visiblement pleuré, incertain de savoir si il était Ziggy Stardust, David Bowie, David Jones, ou tout simplement en plongée vers la folie. Le titre de son prochain album en était clair. Il perdait la tête. 

 


Tout allait si bien, mais si mal en même temps. Son mariage était pratiquement mort. Il ne voyait pas la richesse mais en savourait quelques bénéfices. La cocaïne lui entrait facilement au nez et lui ravageait l'âme et les nerfs. 

Quelque chose devait changer. 


Sur scène, après la dernière chanson, Rock'n Roll Suicide, David allait commettre un meurtre. Celui de sa plus grande création jusqu'à maintenant: le meurtre de Ziggy. Le personnage lui avait d'abord permis une certaine créativité et une sorte de liberté, mais déjà, il s'en sentait prisonnier et pensait se perdre mentalement dans le processus. 

Se dessinant un éclair de foudre rouge et bleu au travers du visage, de plus en plus maigre par la drogue, et toujours extraordinairement pâle, il surprenait son band, au moins Bolder et Woody, en annonçant devant tout le monde que c'était le dernier à show à vie de tout ce monde là, ensemble. Même mort, Ziggy durerait encore deux albums. Le premier, tricoté pendant la tournée de 1972-1973. Le second enregistré rapidement fin 1973 et lancé tout aussi rapidement. Comme un éclair. Un album de ses chansons préférées d'un passé tout proche.

À partir de septembre 1972, il était en tournée en Amérique du Nord. Terrorisé par l'avion, il avait pris le bateau. Y avait écrit la chanson titre de son futur effort sur disque. David avait connu une mauvaise expérience en vacances, en avion, et, quelques jours plus tard, son père mort lui était apparu en rêve (ou sous l'effet de la drogue) pour lui dire de ne plus jamais voler. C'était suffisant pour Bowie. DeFries n'haïssant pas ça. L'excentricité faisait vendre. Et en payant un coûteux transport de la sorte à lui, Zowie et Angie, il n'avait pas l'impression de ne pas payer son client. Elton John, Stevie Wonder et Led Zeppelin pouvaient garder leurs jets privés, un bateau était un clin d'oeil aux années 20, ce qui lui inspirerait aussi, Time

Contrairement aux autres Britanniques qui essayaient de percer le marché Nord Américain, DeFries a fait sauter plusieurs étapes à sa star. Il le vendrait comme une star d'emblée et à force de le dire, on l'a cru. Bowie ne ferait aucune première partie ou de spectacles avec des compatriotes anglais comme deuxième ou troisième artistes de la soirée. C'était lui, la star. On demandait le plus large des pianos dans toutes les villes visitées. Rien de moins que des pianos de 9 pieds, sinon on annulait le spectacle. On avait construit une sorte de mur autour de lui, dans sa loge, afin que Bowie ne soit pas vu de personne, avant l'heure du spectacle. Bowie ne se déplaçait plus jamais sans son garde du corps, Stew. DeFries invitera les journalistes du Rolling Stones (dont un jeune Cameron Crowe) et ceux du Playboy pour des week-ends ici et là, et des séjours dans les hôtels. DeFries tricotait une Bowiemania qui n'avait pas de précédent, sinon la Beatlemania, 10 ans plus tôt. Lou Reed & Iggy Pop trainaient toujours autour afin de maintenir le chaos. Et assurer la drogue et l'accès à la débauche.

DeFries fonde sa propre étiquette, à New York, Mainman. Nom que Bowie adore, se pensant l'homme principal d'importance. Mais ce serait plutôt Tony, au final, qui raflerait l'important capital. Pour DeFries, pour être riche, il faut dépenser richement, et se comporter comme si on était multi-milionnaire, même si on ne s'en approche pas. Fake it til you make it. Mais l'argent dépensé, c'était l'argent de qui ?

Cherry Vanilla, était la secrétaire de presse et ne lésinait pas sur les moyens de propagande les plus farfelus. Bowie est gay. Bowie est hypersexuel. Bowie est communiste. Elle mord même la fesse d'une journaliste. Bowie doit faire jaser. Son nouvel album sera à la fois incarnation froide d'un Ziggy prétendument mort, mais chantant encore et à la fois intemporel, capable de passer des années 20, aux années 50, au futur proche. La pochette sera culte. Cet album jouera plus d'un an dans ma première voiture neuve, dans les années 2000. Sans jamais que je ne m'en lasse. On garde l'esprit Ziggy. On greffe au band Mike Garson, qui sera aussi formidable que chaotique, malgré lui. 

En effet, quand Woody Woodmansey rêve à voix haute d'une voiture dans un magazine, Garson s'en étonne et lui dit "N'en as tu pas une ou deux déjà ?". On découvre alors que le chèque de paie de Garson et ceux du reste du band, a un zéro de plus. Garson gagne dans les 4 chiffres, Pas les autres. Il gagne même 10 fois ce que les autres Araignées gagnent. On amène le problème à DeFries qui la joue têtu et leur dit qu'il paierait les techniciens de son plus chers si le trio avait à quitter et que ceux-ci les remplaçaient à pied levé. Quelque chose est définitivement brisé. Mais Garson sera un élément fondamental au son que Bowie vise. Croisant la musique classique, le jazz, la pop, le gospel, à peu près tout sauf le rock, amenant un côté avant-gardiste au David. Garson pratiquait 8 heures par jour pendant 10 ans. Et ça parait. Ça force tout le monde à jouer mieux. Toute la tournée, Garson se gardera des ouates dans les oreilles, incapable de supporter les cris des fans. 

À Cleveland, une jeune femme de 22 ans, du nom de Chrissie Hynde, lui fait visiter la ville, en s'imposant dans sa limousine. 8 ans après les Beatles, Bowie allait jouer au Carnegie Hall de New York. Les albums de Bowie ne vendent pas tant aux États-Unis. Il doit réussir à NY. Les billets à 6$ se revendent à 50$ par les revendeurs. Ce sera un triomphe. La tournée qui ne comprenait que 8 dates, aux États-Unis, est prolongée de 8 semaines. Tout en autobus parce que Bowie craint l'avion. Au grand dam de DeFries. David vit On The Road de Jack Kerouac. Dans le Sud, on est hostile à sa prétendue bisexualité et supposée favoritisme face au communisme. Dans certaines villes du Sud, ils ne sont qu'une centaines dans la foule. Mais Bowie, en pro, leur fait un spectacle intime de style cabaret. Dallas et Houston sont même annulés. Mais les albums passés vendent. 

À Los Angeles, il adore les lieux, les gens, les groupies avec lesquels il a beaucoup de relations sexuelles, et la drogue. Crack baby crack gimme your head. Cyrinda Foxe, 19 ans, est dans les draps du de-plus-en-plus squelettique Bowie. Elle épousera plus tard, Steven Tyler, chanteur d'Aerosmith. Les prouesses sexuelles de David sont "largement" documentées. Son appétit sexuel effrayait même son entourage. Sa célébrité nouvelle a accentué cet appétit. 

Mais ce qui effraie David, c'est de perdre sa santé mentale, comme sa mère. Comme son demi-frère. La tournée de 71 jours perd 7000$ par jour en hôtel et frais de toute sorte. DeFries réussit à passer la facture à l'étiquette RCA, mais en retour, le bonus de Noël est supprimé. RCA paie maintenant, mais Bowie paiera plus tard. Ça prendra du temps à David de comprendre que ce qu'il devrait gagner est aussitôt réinvesti partout, sur les groupies qui sont parfois jusqu'à 46, un même soir, à avoir une chambre dans un hôtel. Simplement pour faire la fête. Au frais de David. Quand Aladdin Sane est lancé, le premier album écrit alors qu'il est "star", devient son meilleur vendeur. Même si peu de chanson en single font vraiment mouche. Le premier single est un blues composé pour plaire à Ronson, mais aussi pour plaire à Cyrinda Foxe, qui y joue dans une video avant-gardiste pour l'époque.

 Bowie dira des États-Unis que c'est l'endroit où les gens sont les plus mentalement isolés sur terre. Lui qui n'a jamais mis un pied en Afrique ou en Océanie. 

Vers la fin de la tournée, un fan arrache du poignet le "bracelet de mariage" de David. C'est hautement symbolique. Leur mariage est plutôt mort. Ils sont plutôt partenaires d'affaires. Quand Angie, voulant se venger de la plus grande liberté de leur "mariage ouvert" (does it ever work?) que prend David par rapport à elle, a une liaison avec son garde du corps, Stew, Bowie l'encaisse. Mais quand elle fait une fellation très publique à un de ses proches, devant des étrangers, il lui paie un billet de retour à la maison et elle est "bannie" de ses tournées. 

Le projet était que David devienne une star et qu'après, ce serait le tour d'Angie d'être la rayonnante vedette. Mais Bowie oublie cette partie du plan. Angie passera une audition afin de jouer Wonder Woman, à la télévision, mais elle sera recallée quand elle refuse de porter une brassière. Écrite trois ans avant, The Prettiest Star, était ou bien une lettre d'excuse pour Angie, ou dramatiquement, un adieu. 

Bowie ne s'aime pas tant à cette époque. Il réalise que lorsqu'il était inconnu, le risque était moins grand. Mais maintenant, il y a avait attentes et pression. L'éclair dans son front représente sa fracture mentale.

En tournée, les choristes, dont Geoffrey McCormack, un ami d'enfance de Bowie, futur Warren Peace, sont placés devant les Spiders. Ce qui humilie Ronson, Bolder et Woodmansey. Qui se sentent le band maison et anonyme d'une star. Payée moins chers que les techniciens de tournée. 

Si le succès reprend en fin de tournée, aux États-Unis, au Japon, ce sera tout simplement immense. Et #1 pendant plus de 2 ans. Peu importe ce que lance Bowie. Ça ne lui échappe pas. Il aura toujours un "soft spot" pour le Japon, ses gens et sa culture. Le Japon le change à jamais. Même Angie et Zowie le rejoingnent. Ce sera la dernière fois que Zowie, 2 ans, verra ses deux parents, ensemble. Mais au dernier spectacle au Japon, Angie agite des chaises dans la foule afin de "sauver" des fans, "brutalisés" par la sécurité japonaise. Ça devient une émeute. On lui ordonne de se livrer à la police, mais elle fuit à Hawaï. Qu'elle ait raison ou tort, Bowie est en furie. Elle est bannie à jamais cette fois. Il la décrit comme une Femme à la finesse d'un camion lourd. Ils étaient amoureux partenaires il n' a pas si longtemps, ils sont maintenant sur deux rives différentes. Bowie revient...en bateau. 

Aladdin Sane est un immense succès. Même si les singles ne seront pas mémorables. De retour à Haddon Hall, Ken Scott, George Underwood, Freddie Burretti, Lindsay Kemp, lui font un party. Mais Bowie est vidé. Il pèse tout juste 100 livres. Et dans à peine quelques jours, DeFries leur demande de jouer 60 autres fois. Aucun n'en a envie. Quand Visconti le revoit, il ne le reconnait plus. Il est devenu Ziggy. Perdu. 

Les 60 dates sont annulées. "pour des raisons créatives". (NOOOOOT!) DeFries aime. Ça sauve la face, fait sérieux, et ajoute au mystère. 

Enregistrant à la place Pin Ups, au Château d'Hérouxville, en France, inspiré par l'équipe d'Elton John qui y a enregistré ses trois derniers albums, Bowie fait un album exclusivement de reprises, comme si il mettait un point final sur son passé. Qui incluait Ronson & Bolder qui seront de l'album, mais pas Woodmansey, remplacé par Ainsley Dunbar, parce que trop irrité par l'histoire de la paie. Garson reste. On se parle peu en studio et tout est fait vite entre Juillet et août. On a hâte de se séparer. Ronson a un contrat d'album solo avec Mainman. Bolder veut faire autre chose. Bowie a le look de Ziggy sur la pochette, mais ce sera la dernière fois. Un nouveau personnage se dessine. En octobre est lancé Pin Ups. Mais le single de John, I'm Only Dancing, sur aucun album, est plus populaire que quoi que ce soit de ses reprises. 

Ziggy est mort. David a une moitié de vision. Enfin une vision qui sera amputée. 

Halloween Jack, se pointe. 

dimanche 5 février 2023

Ziggy Stardust & Les Araignées de Mars

David était derrière les rideaux de la scène du Aylesbury Club, à Friars, en Angleterre, et il tremblait du torse. Son costume était en partie à blâmer. Il ne portait qu'une veste de poil blanc, torse nu. Stylisé, oui, mais pas tellement chaud. II avait demandé en vain un chaufrette, mais il était clair qu'il était aussi extraordinairement nerveux. C'était le 21 septembre 1971 et il était sur le point de livrer son premier concert avec un band depuis plusieurs mois. Le Aylesbury Club de Friars était cet endroit si cool d'Angleterre, reconnu pour ses foules vivantes et ses spectacles de bonne qualité. Cet endroit était désormais à moitié rempli par des gens qui avaient dépensé 50 pences pour aller voir et entendre un gars qui n'avait pas eu un hit depuis deux. Pire encore, Bowie avait avec lui sur scène un groupe qui ne s'était pas prouvé encore ensemble, Trevor Bolder à la basse, Woody Woodmansey à la batterie, Mick Ronson à la guitare. 

Pour le moment, ces trois-là n'avaient pas de noms. Mais sans le savoir encore, les gens allaient assister au premier spectacle des Araigneés de Mars. David, entrant le premier, avec ses longs cheveux et son air féminin, saisi tout de suite la foule entre l'ahurissement et l'excitation. On joue Space Oddity assez tôt afin de s'en débarrasser vite. On veut tester le nouveau matériel. Le spectacle est presqu'intime, mais le public embarque. Queen Bitch donne du rythme. Oh You Pretty Things et Changes, emballent. Hunky Dory n'est pas encore disponible, repoussé,  pour le consommateur musical, mais le public est prêt à recevoir et l'accepter. On termine avec une version de Round & Round de Chuck Berry. Le spectacle est un triomphe. 

Bowie dira à un fan, bientôt journaliste, que si vous avez aimé, la prochaine fois que vous me verrez je serai complètement différent. 

Le 29 janvier suivant, Bowie dit vrai. Maintenant majoré à 60 pences, le spectacle de Londres a maintenant doublé dans son occupation populaire. Parmi les fans, Roger Taylor & Freddie Mercury qui viennent se partir un nouveau, band, Queen. Qui cherchent de l'inspiration. Queen & Bowie auront la même progression musicale jusqu'au début des années 90 et se croiseront souvent. Déguisés en Droogies de A Clock Work Orange, sur la musique de 2001: A Space Odyssey, les gens en auront pour leur argent. 

Ziggy nait trainquillement. On entend Starman pour la première fois. On entends Rock'n Roll Suicide pour la première "You're wonderful! gimme your hand!" en clôture de spectacle, c'est un triomphe. "YOU'RE NOT ALONE!". Qui était ce chanteur au cheveux rouges? Une fan est si  déstabilisée dans la foule qu'elle donne un coup de poing au visage de Ziggy. C'est Bowie qui encaisse. 

A STAR IS BORN! annonce le journal local du lendemain. 

Les effets de cette une seraient multiples. L'impact serait musical, sur la mode, sur les coupes de cheveux, sur la morale, sur les moeurs, sur l'affirmation sexuelle, sur la marginalité affirmée, et sur la nature de la célébrité elle-même. Pour plusieurs Anglais, le soir du spectacle du 29 janvier 1972 marque le début des années 70. Le rock'n roll ne serait plus jamais le même. David non plus. 6 jours plus tard, dans une tempête qui paralysait le Québec, je naissais, à Arthabaska, puisque Victoriaville n'avait pas d'hôpital. 

Ziggy Stardust était bien Anglais, mais il est né aux États-Unis. Le Bowie enfant rêvait d'Amérique, le Bowie adulte savait que cesserait un peu chez lui. Même si il serait toujours, un peu, étranger. Aux États-Unis, terre d'opportunités, tu pouvais être qui tu voulais. Il avait été aux États-Unis en 1971 pour la première fois, mais y retournait en septembre 1972, afin d'y négocier un autre contrat avec RCA. L'étiquette de son jumeau cosmique, Elvis Presley. Quand il a son contrat, il appelle sa mère pour lui dire qu'il sera plus grand qu'Elvis. Tony DeFries est un animal. Il y avait 2 réactions face à Tony: vous en aviez peur et l'aimiez, ou vous en aviez peur et le détestiez. Il avait comme philosophie cette phrase qui allait suit: "I want bigger from everybody" . DeFries était aussi déterminé que le Colonel Parker d'Elvis, portait ses lunettes fumées et fumait le cigare, avec sa tête de fonceur. On le surnommait Deep Fries en référence au film prono qui faisait fortune Deep Throat.  

Ça prendrait du temps, trop de temps, avant que Bowie ne comprenne ce qu'il avait signé avec lui, et qui le précipiterait dans le chaos, mais pour le moment, DeFries lui montrait des papiers (tronqués) qui disait qu'il était déjà, millionnaire. Puisque Bowie était millionaire sur papier, comportes-toi de la sorte, disait-il. Un cas classique du fake-it til you make it. Il circulerait maintenant en limousine et secondé d'un garde du corps. Les photographes étaient triés. Non pas qu'ils se tiraient sur lui, encore. Parfois, il sortait de la limousine avec son garde du corps, mais personne dans le rue pour l'attendre ou tenter de le voir. Bowie était toujours en spectacle. 

 

À New York, il était passé devant le Radio Music City Hall en disant qu'il y jouerait un jour. Sans réaliser que ce jour serait dans 18 mois. Bowie avait été voir la pièce controversée Pork. Une sorte d'orgie pansexuelle truffée de quelques dialogues épars. C'est Andy Warhol qui avait signé cette pièce. Sur scène, masturbation, relations sexuelles, homosexualité, urine sur corps, fellations, et simulation de consommation de selles (c'était du pudding au chocolat) Tout pour choquer. David est amusé. Ce n'était que de la provocation et du mauvais goût. Une actrice expose ses seins et crie à la foule "Et alors ? la reine Elizabeth a le même format!".Étais-ce donc anormal que des travestis et des gens en besoin d'attention trouvent si facielement leur chemin jusqu'à Bowie ? Par eux, il se rendra à Warhol. La magazine Rolling Stones fait son premier profil de Bowie et on remarque moins le contenu de l'article que les photos de l'androgyne. 

Au début, Angie est plus populaire auprès de l'entourage de Warhol. Étatsunienne, loud, agitée comme eux. Bowie, reste plus timide. Les extravertis à temps plein autour d'Andy font une mission de dégourdir Bowie et le présente à Warhol. Ce sera une légère catastrophe. Après avoir fait sonner la sonnette autour de laquelle il était inscrit "ne pas faire sonner" David est longuement interrogé et gardé à distance par la sécurité qui a été renforcée depuis la tentative d'assassinat contre Warhol, par Valerie Solanos, en 1968. Quand il se rend enfin à Andy, en voulant lui serrer la main, Warhol refuse et garde ses distances. Il a L'impression de voir un fantôme ou un reptile. Bowie veut être considéré par Warhol. Il sera blessé qu'Andy ne le prenne pas au sérieux. Quand Bowie lui joue Andy Warhol, celui-ci ne réagit aucunement et quitte. Il a détesté. La seule chose qu'il aura aimé sera les souliers jaunes de Bowie que Marc Bolan lui avait donné et que Warhol prendra en photo obssessivement. Avant de partir, Bowie participe au rituel de Warhol de se laisser filmer et d'y faire ce qui l'inspire. Bowie mimera sa propre désintégration intérieure du moment.

Sa rencontre avec Lou Reed, un héros pour Bowie, sera bien meilleure. Depuis son départ des Velvet Underground, Reed s'était retiré du monde de la musique et habitait chez ses parents où il tapait à la machine pour 40$ par semaine, la compatbilité paternelle. Reed est saoûl lors de leur première rencontre. Ils vont au Max's Kansas City où une jeune Debbie Harry y est peut-être serveuse. Il ne fallait pas être nécessairement riche pour errer au Max's Kansas City, il ne fallait qu'avoir du style. Bowie en avait, Lou n'en avait plus, The Velvet Underground avait été un band maison de l'endroit. Lou avait encore ses entrées. Un jeune Bon Marley y ferait ses débuts Étatsuniens, tout comme Bruce Springsteen et Patti Smith. Mais la cour de l'élite underground est en arrière-scène. Une pièce éclairée en rouge qui donne l'impression d'un chic passage en enfer. Lou quitte assez tôt ce soir-là, mais Bowie reste en compagnie celui qui serait son jumeau viril, Iggy Pop. Bowie connaissait The Stooges depuis son premier passage aux États-Unis. James Ostenberg est un Juif intellectuel qui devient animal de scène lorsqu'il est Iggy. Sur scène, il se mutile, se dénude, incite à la violence. Mais Iggy n'a plus de maisons de disques. Ne va pas tellement mieux que Reed. Il est aussi très héroïnomane. À l'aube, Bowie et Pop sont les meilleurs amis. Après trois nuits sans sommeil d'Iggy, intoxiqué, il signe pour Tony DeFries, sous la recommandation de Bowie.

Dans les annales du rock, le band Arnold Corns n'est pas tellement mentionné. Avec raison, ils n'auront lancé que deux singles. Deux flops commerciaux.  David, inspiré de Warhol, créé son propre band. Il compose la musique, en écrit les paroles, choisit leur linge, leur présentation, et s'en sert comme canvas humain. Le risque est nul. Si ça plante, on refait. Mieux. Sinon, on laisse mourir. Freddie Buretti a 19 ans, est un designer de linge de Londres, et est sexuellement ambigüe (il est en fait très gay). Il le rebaptise Rudy Valentino et s'en sert comme laboratoire à idées. David s'inspire d'une chanson qu'il adore pour le nom du band, mais on réalise très vite que Valentino ne sait pas chanter. Bowie fera les voix et on fera croire que c'est Burretti qui chante. 

Flop commercial, mais pas du tout un échec. Ça a permis à Bowie de s'amuser avec les alter ego et les concepts musicaux. Le rock ennuie un peu Bowie qui n'y trouve pas de théâtralité. Il avait été voir un spectacle d'Alice Cooper et avait été gêné de le voir jouer avec un boa et feindre de se faire électrocuter sur une chaise électrique. Bolan vient de faire 10 semaines de suite avec deux hits. Bowie veut faire plus. Il voulait habiter la scène, pas réciter des mots sur scène. Il ne veut pas être radio autant que télévision couleur. Le problème restant que son album qui sort cet automne là, Hunky Dory, n'annonçe pas ça du tout. Il est harmonieux, lyrique et folk. Accessible. Mais il parle de changements. Et de vie sur Mars

À Ken Scott, producteur d'Hunky Dory et de The Rise & Fall... il dira "Je ne pense pas que tu aimeras ce qu'on fait. C'est beaucoup plus rock." Bien que considéré comme un des meilleurs albums concepts de l'histoire du rock, The Rise & Fall of Ziggy Stardust & The Spiders From Mars n'a jamais été conçu ainsi. Le titre de travail était Round & Round. Amsterdam, reprise de Jacques Brel, Velvet Goldmine et Holy Holy se trouvaient sur le première acétate du produit fini. It Ain't Easy, une reprise aussi, était une chanson de trop des sessions d'Hunky Dory. En studio, selon Scott, Ronson ou Woody, jamais Bowie n'a parlé d'un album concept. Mais la science-fiction a toujours été dans la tête de David. Et peu à peu, une trame narrative spatiale se dessine. Le mot Star nait partout. Pour toute sa vie

L'album plait aux dirigeants de RCA qui demandent toutefois, "Où se trouve le hit ?". Sur commande, Ronson et lui composent Starman. Cette chanson surpassera les ventes de Space Oddity. Croisé de T.Rex et The Supremes, Bowie démontre son talent de mélodiste. Ls vision narrative s'installe. Un poète anarchique, arrivé des étoiles, est d'abord déifié, avant de s'étouffer par son propre ego. C'est un propos sur l'excès. Ça parlera à bien des gens. C'est un monument pour les marginaux. 

Mais ça n'arrive pas de nulle part. Les Beatles ont inventé le Sgt Pepper's Lonely Heart Club Band, il y a 5 ans. The Who a fait un opéra rock, il y a trois ans et on y évoque un messie. Ziggy est un commentaire sur la forme d'art, tout en le performant. Tout à fait meta. De l'aube de la célébrité à l'apocalypse. De la notion de la vie extra-terrestre (la mienne) aux cultes religieux. En 1972, l'optimisme du mouvement hippie s'est évaporé. Bientôt, on aura le punk et le heavy metal. Des villes d'après guerre ne sont pas encore pleinement reconstruite. L'Angleterre vit une de ses pires récessions. Le futur semble sombre. Bowie pense peut-être vraiment qu'il ne reste que 5 ans à vivre. 

Bowie a tricoté un anti-héros des années 70. David a été inspiré par Iggy Pop (D'où Ziggy qui était aussi le nom d'un magasin de linge) et Lou Reed dont il avait presque vu les suicides rock'n rolliens. En peu de temps, Brian Jones, Janis Joplin et Jimi Hendrix sont avalés par le rock. Sans mentionner l'abandon mental de Syd Barrett, les dérives de trois guitaristes de Fleetwood Mac, et Brian Wilson qui perd aussi la tête. Lors de son passage à L.A., il avait joué avec Gene Vincent. Bien qu'âgé seulement de 35 ans, Vincent avait l'air d'en avoir 59, était usé et désorienté. Triste à voir. À 36 ans, quelques jours avant que Bowie, Bolder, Ronson, Woody, Scott n'entrent en studio, Vincent est mort. La maladie mentale de son frère Terry, celle de Vincent et sa carrière auto-sabotée, ont été moteurs d'inspiration. 

Lors de son premier passage aux États-Unis, un représentant de sa maison de disque lui avait donné un 45 tours d'un artiste country de la même boîte, The Legendary Stardust Cowboy, qui allait inspirer le nom de Ziggy. Il lui avait dit: "Écoute ceci et tu ne seras jamais plus pareil."

Il l'a fait. N'a plus jamais été pareil.

David dira de Ziggy que c'était un hommage au superficiel. Un alter ego, sur un autre alter ego. Jones devenu Bowie devenu Stardust. Ça lui jouait dans la tête depuis qu'il avait parlé avec Doug Yule, le pensant Lou Reed. Une star n'est jamais autre chose que ce que les gens pensent que tu es. C'était artificiel. Une fausse production de masse en plastique. Burretti n'est pas perdu. Il lui fait son linge étrange tiré des retailles de Canary Street. Le 13 janvier 1972, on se présente sur le site qui sera la pochette finale de l'album. Ils avaient fait quelques prises avec le band, en studio avant que le photographe ne leur demande d'aller à la rue. C'était l'hiver Londonien et il faisait froid, la nuit. Prenant une guitare, David a marché jusqu'au #23 Haddon Street prenant la pose pour seulement 4 clics de caméras et en tirer une des pochettes les plus mythiques (la prochaine sera la Joconde de son oeuvre) de l'histoire du rock. 

Il fallait maintenant monter sur scène et jouer le matériel en spectacle. Si Ziggy est habillé avec extravagance. Mick, le bluesman, Trevor, plutôt discret et Woody, rock'n roll, ne sont pas tellement enchantés de se déguiser sur scène. Quand Burretti leur présente ses costumes, la réaction est "HEY! J'aurai des ami(e)s dans la salle! je suis un musicien! pas un animal de cirque !". Ronno prend même son matériel et se rend au train pour retourner vivre chez lui. Menaçant de quitter tout. Woody prend plus d'une heure à se convaincre. Mais quand ils réalisent le nombre de fans féminines allumées par leurs costumes, ils changent d'idée. 

La tournée de Ziggy et ses Araignées commence officiellement le 10 février 1972, j'ai 6 jours. Humble début. 60 personnes au premier spectacle. Certains spectacles n'attirent qu'entre 20 et 30 spectateurs. Mais peu à peu, le bouche-à-oreille se fait. Le 6 juin 1972 est lancé l'album

En Angleterre, une fois que vous passez à l'émission Top of the Pops, vous êtes à l'Everest de la musique populaire. La participation de Ziggy et ses Araignées pour y chanter Starman sera magique. À quelques moments, la courant passe de manière titanesque. Quand Bowie dit "you" en pointant la caméra et quand il passe son bras autour du cou de Ronson, en franche camaraderie. Pour plusieurs, leur vie vient de changer. Ils étaient ce "you". Ils avaient été choisis. 

À 19h30, le 6 juillet 1972, le public Anglais habitué à la science-fiction du Doctor Who, ne connaissait rien, ou si peu de cette étrange créature de mars. 15 millions de téléspectateurs voient ce chanteur aux yeux de deux couleurs. 

Si les Beatles avaient eu Ed Sullivan, Bowie aura The Top of the Pops. Les membres futurs de U2, The Smiths, Joy Division, Duran Duran, et de tellement d'autres sont parmi les 15 millions dont la vie vient de basculer. Cette bête offre une évasion. Une rédemption par la transformation. Son triomphe est un triomphe commun à tout ceux et celles qui se sont toujours considérés peu normaux. Anti-conventionnel.

Quand Bowie enlace Ronson, dans le conservatisme de 1972, c'est un choc. Seraient-ils un couple ? On questionne déjà sa sexualité. Bowie s'en amusera toujours. À un intervieweur du Melody Maker qui le dit efféminé et "camp", il lui dit qu'il est gay et l'a toujours été. Il y a à peine 5 ans, en Angleterre, l'homosexualité était criminelle. Passible de prison. Le dire ainsi, candidement, est sans précédent. Angie, avec laquelle il a un enfant, lui reproche de ne pas avoir au moins dit qu'il était bisexuel. ¨Ca fait quoi de nous ? des erreurs ?" La mère de Bowie en fait presqu'une syncope. "Que dis tu là, David ? changes tu de sexe ?" David lui dit ne pas en croire un mot, c'est un coup publicitaire, la communauté gay est payante pour lui. Toute sa vie, on soupçonnera qu'il joue pour l'autre équipe de temps à autres. 

Les années sur les lignes de côtés, ainsi que son passage et son père, en publicité, lui avaient donné l'avantage d'étudier longtemps ce qui vendait ou pas. Les Stones, les Beatles, The Who étaient adolescents quand la gloire leur a souri. Bowie avaient maintenant 25 ans. Il savait manipuler.

Sur scène, au Oxford Town Hall, il se tire à genoux mimant jouer de la guitare de Ronson sur Suffragette City, avec ses dents. Ce qui peut aussi rappeler facilement une fellation. L'effet est immense. Tout le monde en parle. 5 photos de Mick Rock feront le tour du monde. Bowie devient viral mondial. DeFries en fera une pub payée dans un journal. Journal audacieux, tout de même d'avoir choisi de publier. Pour Ronson, ce sera plus dur pour ses proches. On vandalisera la maison de ses parents et la voiture neuve que Ronson leur avait acheté. Des ami(e)s de Bowie lui disent "rock'n roll suicide, allright". 

Bowie est étiquetté pervers dans certains cercles, et certains pays. Alice Cooper présente des (faux) bébés morts sur scène et décapite (faussement) des gens, mais Bowie qui feint l'homosexualité, c'est davantage dérangeant...

L'univers de Kerouac ou de John Rechy a toujours été un monde fascinant pour le Jones de la ville beige de Bromley. La communauté gay est très attirée par Bowie. Mais Bowie les utilise fort probablement. Sans oublier qu'il les libère aussi. Un jeune Boy George l'affirmera. Il donne le courage de ne plus se cacher. Bowie répondra à la sempiternelle question "êtes vous gay?" , "Ma sexualité n'a aucune importance, je suis un acteur. Je joue bien des rôles. Je suis peintre aussi, J'utilise toute ma palette de couleurs

Il ne vend pas seulement de la musique. Il vend du rêve et de la liberté. 

Ça je l'ai toujours, toujours, senti.  

En entendant que le band Mott The Hoople veut se séparer, David leur propose une chanson. Il devient messie pour vrai. Il produira leur album qui sera leur plus gros hit. Ils refusent Drive-In Saturday. Ça le déprime tant qu'il s'en rase les sourcils.The Stooges est aussi ressuscité et David leur produit Raw Power. Il transforme Lou Reed en star pop avec le très bien nommé Transformer, co-écrit avec lui et produit son premier album solo. Un classique passeport de l'univers underground New Yorkais. Pour le solo de saxophone de Walk on the Wild Side, Bowie engage Ronnie Ross, qui lui donnait des cours de saxophone, pré-adolescent. 

Quand quelqu'un le complimente moqueusement pour The Laughing Gnome, son morceau de 1967, il répond que non, ça, ce n'était pas moi. Il se dirige vers sa limousine et quitte.

Il avait d'autres places à se rendre, et d'autres personnes à incarner. 

L'Adieu Parfait

En 2013, après de rares apparitions publiques depuis plus de 10 ans, son album The Next Day connait un franc succès. Le 25 mars de cette mê...