dimanche 26 mars 2023

Accidents Planifiés

Energisé par le band avec lequel il est en tournée pour ce qu'on appelait alors à la fois The Isolar Tour II et The Stage Tour (après la sortie de l'album en spectacle), David a trois semaines de "congé" dans cette tournée de 1978.

 Il en profitera pour aller en studio, enregistrer ce qu'il fignole depuis quelques temps. 

Situé dans l'immeuble du Casino de Montreux, le studio (que l'on peut visiter tout à fait gratuitement, ce que nous avons fait dans le bonheur, en juin dernier) offre une vue superbe sur le Lac de Genève. Queen y enregistrera tant qu'ils finiront par l'acheter. En 1978, c'est l'album Jazz de Queen qui y est enregistré dans le grand hall du Casino. Mais pour Bowie, Visconti, Eno et compagnie, ce hall n'est pas disponible. On enregistre alors tout dans le petit studio, à l'étage, où il fait extrêmement chaud. On travaille en bedaine et une fois qu'une prise est fait, on sort sans toujours l'écouter. On a fait tout très vite et avec une date de tombée. Donc avec une certaine urgence. Eno, qui vient de travailler avec Talking Heads, prendra un rôle beaucoup plus important avec la direction éclectique du son. Plusieurs chansons de cet album seront faciles à imaginer avec la voix de David Byrne. Ce sera un album de voyageur. David prends maintenant l'avion. Il a été en URSS avec Iggy, au Kenya avec son fils, en Allemagne avec ceux qui l'accompagnent en studio. C'est un album continuellement "en mouvement" et le premier côté du disque est clairement le côté "voyage" comme l'excellente chanson d'ouverture le confirme

Avec Eno à la proue, les cartes de stratégies obliques reviennent en force. Pour un des morceaux, Carlos Alomar est envoyé à la batterie parce que sa carte lui dit quelque chose comme "surpasses toi avec un défi instrumental". Bowie, sans parler de "paresse", à partir de maintenant, inclura toujours des morceaux moins neufs. Depuis presque 10 ans David a presque toujours glissé une reprise/refonte d'un morceau d'un autre artiste dans ses disques. Fill Your Heart de Bill Rose sur Hunky DoryIt Ain't Easy de Ron Davies sur The Rise & Fall..., Pin Ups au complet,  Fascination de Luther Vandross & Across the Universe des Beatles sur Young Americans, Wild is the Wind de Nina Simone sur Station to Station. Il le fera maintenant beaucoup plus souvent.  Cette fois, sur ce qui s'appelle alors Planned Accidents, il revisite beaucoup son propre matériel. Sister Midnight, de l'album concocté avec Iggy, a de nouveaux mots, quelques variations d'arrangements et devient Red Money

 

Bowie est désormais un artiste qui voit et prend conscience de l'influence qu'il a eu sur de nouveaux bands et artistes qui émergent dans ce qu'on appelle The New Wave ou The New Romantics.  Avec Eno, ce qui est décidé est que lorsqu'on se trompe en studio, on insiste afin de créer à partir de cette erreur qu'on intégrera au produit final. De là, les accidents planifiés. On veut faire de la magie avec une certaine forme d'avant-gardisme. Bowie a toujours été deux ou trois coups avant les autres, il veut poursuivre dans cette direction. Une chanson est enregistrée quand, par erreur, il entend sa chanson All The Young Dudes jouée à l'envers. Il en fera une chanson complète où derrière on chante Hello, Goodbye, en kenyen. Sur une autre chanson de l'album, ce sont les mêmes accords que sur la première chanson de l'album, joués avec une progression et une vitesse différente. Toujours très intéressé par le krautrock, un excellent morceau de l'album sera très inspiré d'un autre morceau du supergroupe Harmonia avec une intro inspirée de Hero (tiens...) de Neu!. Une de mes préférés de cet album, injustement sous apprécié, est Look Back in Anger où on a demandé à Alomar de faire un solo vers 1:16. Mais Alomar étant un guitariste rythmique à refusé de faire autre chose qu'un solo. rythmique. Qui fait toute la chanson avec la batterie tribale de Dennis Davis et ses congas. Le clip, pour cette chanson sera de David Mallet. Inspiré ouvertement de The Portrait of Dorian Gray d'Oscar Wilde.     

On enregistre à New York au printemps 1979 et pour une rare fois, Bowie a pris le temps de composer les paroles à partir de ce matériel qu'il a écrit tiré de ses expériences sur la route. Au niveau lyrique, Bowie critique le monde dans lequel on vit. La direction des leaders. Les hommes assez lâches pour battre leurs Femmes. Le côté international, parfois influencé par le quartier turc dans lequel David et compagnie logeaient, à Schöneberg, ou encore l'inspiration Allemande du cabaret de Romy Haag, copié dans le clip de Boys Keep Swinging jusqu'au geste d'étendre le maquillage dans son propre visage, donnent au disque une saveur de musique du monde. Style que Peter Gabriel, Paul Simon, Eno lui-même et bientôt Sting rendront encore plus accessible avec le temps. 

Tout se déroule trop vite et David & Tony souhaitaient mieux pour le mix final (ils le referont en 2017). Eugene Chaplin, en Suisse, 5ème enfant de Charlie & Oona, et David Richards, à New York, avec Visconti, Bowie & Eno seront magiciens de la production. L'album est lancé en mai 1979. Avec l'impression d'un colis en pochette, (une photo de Brian Duffy) et encore l'idée "d'accidents" évoquée. David représenté comme post-grave accident, le corps tordu et le nez cassé.

Parenthèse ici que seuls les vrais fans de Bowie pouvaient saisir, en mai 2022, j'ai assisté à un spectacle hommage à Bowie qui couvrait uniquement la période 1976-1979. Trois fameuses jeunes Femmes chantaient les morceaux de cette période et un tout aussi fameux band accompagnait parfaitement à la Place-des-Arts de Montréal. J'en ai versé des larmes au moins deux fois. À la conclusion de D.J.,  une des trois chanteuses, la beaucoup plus grande, a terminé la chanson sur une pose qui reproduisait celle de la pochette

C'était tout simplement formidable, j'en ai eu des frissons.

Bowie n'a jamais été aussi peintre qu'il l'est depuis un an. Mais ne trouve pas le courage d'accepter d'être exposé. Bowie tente sur cette pochette de reproduire Self Portrait as San Sebastian d'Egon Schiele, peint en 1915.  Duffy habite aussi la Suisse. C'est le maquilleur rencontré sur la plateau de Just a Gigolo qui aidera aux trucages visuels. Bowie choisira une photo hors focus et imparfaite car il a l'impression que c'est ce qu'il livre. Les ventes le confirmeront. Mick Jagger qui en a une écoute avant sortie refuse de donner son avis en disant plutôt "O.K. je vous quitte et vais voir Joni Mitchell, voir si je peux saboter son album à elle." .  Il n'ose pas dire à son ami que ça ne rejoindra pas large. 

4 morceaux ne seront pas retenus pour l'album

Avant la fin de l'année, Alabama Song tiré d'un opéra de Kurt Weill & Bertold Brecht, avec une nouvelles version de Space Oddity seront lancés. 10 ans après avoir créé ce morceau, il fermait la décennie en la réinventant plus acoustique. Une nouvelle version de Panic in Detroit est aussi lancée. 

Une tournée mondiale payante suivra et en décembre, à New York, sur le plateau de l'émission Saturday Night Live, le 15, Bowie fait forte impression en chantant avec deux choristes, Klaus Nomi et Joey Arias. Son dernier album restant principalement peu compris, Bowie associera Eno à la direction choisie, et ne voudra plus travailler avec lui pour l'album suivant. 

Une nouvelle décennie se dessine, mais aussi, un certain vide.

C'est l'ère de l'image qui prends forme.

David voudra y plonger with Fashion

dimanche 19 mars 2023

Eintauchen Erforschend

De plus en plus ancré à Berlin, on sort souvent dans les musées, ce qui inspirera autant la pochette du premier album solo d'Iggy Pop que du prochain de Davy B. On prends moins de drogue, mais on compense en surconsommant en alcool. Iggy se concentre davantage sur ses propres projets, David tente de mettre le point final à son mariage avec Angie et parle avec ses avocats dans le dossier de gérance avec Micheal Lippman, dont il veut se débarrasser. Une fois pour toute. Lippman était lié à Tony DeFries, et Bowie veut mettre ça derrière complètement. 

On voit souvent Bowie quitter son quartier de Schöneberg en vélo jusqu'au studio de Hansa où on travaille déjà autre chose. Il se lie d'amitié, et peut-être un peu plus, avec Romy Haag, anciennement un homme,  dont le cabaret Chez Romy, est fréquenté par Pop, Visconti, Bowie, Patricia Highsmith, Bryan Ferry, Tina Turner, Grace Jones, Rainer Werner Fassbinder, Freddie Mercury ou Mick Jagger. Bowie aime soudainement ne pas être reconnu dans les rues. Ou du moins, l'indifférence qu'il créé. Il se laisse pousser la moustache, ne se teint plus les cheveux. Iggy fait le contraire. Il se blondit. Dans le quartier où ils habitent, il y a beaucoup d'immigrés Turcs qui sont les descendants de ceux et celles qui avaient construit le mur. En studio, on est si près du mur que les grandes fenêtres offrent comme vision  2 ou 3 gardes allemands, continuellement carabines en main. Ça effraie un peu l'équipe. Un ingénieur du son allemand se moque d'eux en narguant d'une grimace les gardes qui les regardent. Ils ont si peur de la réaction de ces soldats armés que tout le monde plonge au sol.  Visconti fait la rencontre de la choriste Antonia Maass Chez Romy. Elle sera invitée à chanter sur l'album en cours. Et dans les draps de Tony...

Maass & Visconti, tous deux marié(e)s.

L'album en cours sera l'unique de "la trilogie Berlinoise" à être tricoté entièrement, en Allemagne. Une seule chanson est composée avant de s'y rendre. Dans l'esprit de The Man Who Sold The World. Qui avait aussi Visconti à la production. Le studio est une ancienne salle de bal utilisée par la Gestapo pendant la Guerre. On est à 500 pieds du mur. On est continuellement surveillé par trois gardes qui ont des jumelles, dehors. Une tension existe en studio et pourtant,  pour Bowie et Visconti, l'expérience est magique. On vit les meilleurs moments depuis longtemps. On fait le ménage intérieur. On explore. On s'amuse. Bien qu'on rigole beaucoup, ce qu'on travaillera restera sombre. Robert Fripp de King Crimson est invité en studio par Brian Eno. En trois jours, sans direction réelle, en autour de 6 heures, Fripp fait faire toute sortes de sons à sa guitare et Bowie (et Alomar/Murray/Davis/Eno/Visconti) broderont des mélodies autour. Pour quelques morceaux déjà écrits, il improvise sa partie ce qui impressionne tout le monde car il n'avait jamais entendu quoi que ce soit du disque avant d'arriver. Ce seront presque toutes des prises de son uniques. 6 morceaux sur 10 seront composées ainsi autour de la guitare de Fripp. Les stratégies de cartes obliques, suggérant toute sorte de direction musicale et d'états d'esprits, ne seront utilisées que pour les pièces instrumentales. Pour l'une de celle-ci, Bowie et Eno pigent chacun une carte sans se les montrer. Celle d'Eno dit "fait tout en similitude". Celle de Bowie dit le contraire: "Mets l'emphase sur ce qui diffère". On compose chacun de son côté et on croise ensuite. Ça donnera un fort intéressant morceau. Un de mes préférés de l'album.    

On fait tout instrumental et quand tout le monde a quitté sauf Visconti et Bowie, ce dernier compose enfin les paroles. Quand Maas et Visconti jouent les chats de ruelle qui flirtent en studio, David les évince et leur demande de revenir plus tard. C'est en les voyant s'embrasser dehors qu'il compose Heroes. Une chanson où à un certain moment il est forcé de crier son texte car Eno s'est mis à jouer trop fort ce qui a fait jouer tout le monde trop fort. C'est l'ingénieur du son qui proposera les réponses vocales masculines sur la chanson. On y entend aussi sa voix à lui, l'ingénieur. 

Comme Kraftwerk a cité Bowie & Pop sur son dernier album, Bowie fait de même en nommant un titre du nom de Florian Schneider du band allemand et l'associant à une arme de guerre allemande de la Seconde Guerre Mondiale. Un autre titre doit son nom au quartier où habitait Edgar Froese de Tangerine Dream, en Allemagne. L'influence du quartier d'immigrés Turcs où Bowie et Pop logent peut être entendue sur le dernier morceau de l'album, qu'Alomar rend plus disco et funky. Un autre morceau frise la psychose quand il semble évoquer le pire du divorce en cours avec Angie. Au Noël 1977, Angie, qui avait confié Zowie à une gardienne, met Bowie en colère. Il ira chercher son fils à Montreux et passera Noël avec lui. Angie perdra même la garde légale de l'enfant. Cette fois, c'est vraiment la fin.

On mixera en Suisse, à Montreux et en septembre, Marc Bolan, qui a maintenant son show télé pour tenter de ressusciter une carrière qui a peu changé depuis 6-7 ans, invitera David à jouer avec lui pour les caméras. Mais Bowie est maintenant 6-7 fois la star que Bolan voudrait être. Et il arrive avec son large entourage, sa limousine, il flexe son statut comme dirait mes enfants. Bolan boira tant sa peine dans sa loge que sur scène, devant les caméras, il tombe platement à la toute fin, ivre. Métaphore des jours à venir. Bolan tente secrètement de copier David. En commençant par baptiser son fils Rowan. Rowan Bolan comme dans Zowie Bowie.

Si Bowie est peu capable de prendre l'avion (mais tranquillement, depuis 5 ans, se dompte), Bolan est terrorisé par la conduite automobile. C'est son amoureuse Gloria Jones qui conduit quand ils font un si grave accident que Bolan y perd la vie, quelques semaines plus tard. Ne voyant jamais ce qu'il avait enregistré avec David. Ironiquement, quand Bowie accepte de chanter avec Bing Crosby, en fonction du Noël prochain, Crosby décède aussi avant de voir le résultat fini de leur duo vocal. Les enfants de Crosby étaient des fans de Bowie, voilà pourquoi le vieux Bing l'avait invité à la télé. 

Mais avec le public de Bing, le public punk d'Iggy en tournée, le public de Bolan et finalement la sortie de son 12ème album, en octobre, fameux mois si il en est un (personnellement), album pour lequel, cette fois, il fera toute la promotion nécessaire tout va soudainement pas mal bien pour David. Il a fait le plein de nouveaux fans. Il redevient très populaire. Et reste toujours très international. La pochette, tout comme celle de The Idiot, est un hommage à l'artiste allemand Erich Heckel. C'est un japonais qui en est responsable et l'intérêt de Bowie pour le Japon ne fait que s'accroître comme le démontre un peu sa musique aussi

4 mois avant la sortie de "Heroes" auquel Bowie met des guillemets (parce que quel héros "drinks all the time" ?) sont lancés le premier album de The Clash et l'unique des Sex Pistols dont le chanteur, Johnny Rotten, s'affiche avec un t-shirt I Hate Pink Floyd, un peu partout. Mais le punk s'essouffle très vite. On fait la promotion de "Heroes" en disant "There's Old wave (Rod Stewart, Elton John, The Rolling Stones), There's New Wave (Talking Heads. The Police, Blondie) and there's David Bowie. (les parenthèses sont de moi). Ça fonctionnera beaucoup. Bowie enregistre la chanson titre en allemand et en français, John Lennon (old wave) s'est retiré de la musique pour élever son garçon Sean Ono, il dit qu'il entrera en studio prochainement et que si il arrive à faire quelque chose d'aussi bon que la chanson titre, il sera comblé. Bowie, appuyé par le Beatle comme en 1975. Même Low prend de la valeur. 2 albums en 1977, 4 si on compte les 2 d'Iggy Pop où il était aussi un peu cuisinier. Bowie ne sera jamais aussi créatif et inspiré. Certains journalistes disent que Bowie était punk depuis 1974 et maintenant, il réinvente ce qui s'épuisait déjà.

Il a 30 ans. Il ne joue plus de personnages, sinon lui-même. L'argent entre dans ses poches. À cet âge, j'étais papa d'un garçon et une fille poussait dans le ventre de madame. 

C'est à peu près aussi à 30 ans que je plonge complètement dans Low. Ou que Low m'appelle. Forcément ça me fera aussi revisiter souvent sa suite logique, "Heroes". Parmi les premiers CD que je me suis acheté.

En 1977,  j'ai 5 ans. David Bowie n'existe pas encore dans ma vie.

Puisqu'à Berlin encore jusqu'en février. le comédien David Hemmings lui fait miroiter la chance de jouer dans un film qu''Hemmings réaliserait lui-même, et avec Marlène Dietrich. Bowie accepte. Mais le film, issu d'une bonne idée pourtant, un vétéran de la guerre, incapable de se trouver un boulot la guerre terminée, se voit forcé de devenir gigolo afin d'arriver aux fins de mois, est très mal exécuté. Bowie dira de ce film qu'il s'agit de ses 32 films d'Elvis (réputés mauvais) réunis en un seul.  Mais au moins ce n'est pas un rôle d'extra-terrestre comme on ne cesse de lui offrir depuis The Man Who Fell To Earth. 

En forme et sans drogue comme il ne l'a pas été depuis longtemps, dès mars 1978, il part en tournée alors qu'il pratiquait avec Adrian Belew, ancien musicien de Frank Zappa, aux guitares, Carlos Alomar aussi à la guitare, en plus d'être directeur musical, George Murray à la base et Dennis Davis à la batterie, Roger Powell, d'Utopia de Todd Rundgren aux claviers, avec l'aide de Dennis Garcia quelques soirs, Sean Mayes au piano et aux arrangements de cordes et Simon House au violon électrique, il fera le tour du monde de mars à décembre. Des États-Unis en passant par le Canada, l'Allemagne, l'Autriche, la France, le Denmark, la Suède, la Norvège, les Pays Bas, la Belgique, l'Angleterre, l'Écosse, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et finalement le Japon. La tournée donnera naissance à l'album Stage, enregistré en spectacle à Philadelphie, Providence et Boston. 

Quand Angie tente de se suicider par deux fois, en 1978, David se rapproche davantage de Zowie qui se fait désormais appeler Joey. Plus David s'est éloigné d'Angie, plus il s'est rapproché de Joey. Bowie vit toute sortes d'immersions. Ils passeront le jour de l'an 1979, ensemble, au Japon. Et iront aussi au Kenya.

Quand Peter Ustinov et Alec Guinness refusent tous deux de faire le narrateur de Pierre & Le Loup sur une musique de Prokofiev enregistrée en 1936, on demande à David de le faire. Il le fait avec plaisir, et son fils savourera avec encore plus de plaisir. 

Cette maison à Blonay, en Suisse, est peut-être finalement le bon refuge pour un père et son fils. 

Après avoir co-composé The Passenger avec Iggy, avec lequel il faisait de longues conduites automobiles, Pop à ses côtés (passager sans permis) au travers des États-Unis dans leur tournée ensemble, David se sent bientôt bien en connexion avec quelqu'un qu'il n'a pas fréquenté depuis longtemps.

Lui-même. 

Contrairement à ce qu'il affichera bientôt, il sera moins locataire que très propriétaire de ce qu'il entreprend.

D.J. That is what he plays. 

dimanche 12 mars 2023

Évasion Européenne

Même si ils se sont acheté une maison ensemble, en Suisse, que Bowie déteste dès le premier jour, mais qu'il finira par habiter, plus tard dans les années 80, si il veut voir un peu son fils, et que leur passion commune a un peu renoué, Angie et David ne sont plus ensemble. 

Dans sa tournée Isolar Tour, à Rochester, Bowie s'était fait arrêter, piégé par deux femmes policières undercover, avec de la marijuana dans les poches. Une drogue que Bowie trouve insultante car il ne l'aime pas. Il se restera pas longtemps en prison. Une nuit tout au plus. Mais sa photo fait fureur. Il a l'air de se moquer de tout ça. 

David et sa popularité sont si grandes que sa carrière survit aussi à un prétendu salut nazi et un intérêt marqué par la nazisme et son histoire. Très vite, Bowie quitte Le Clos des Mésanges, près de Montreux et va rejoindre Iggy Pop au studio du Château d'Hérouville, en France, où on y tricotera son premier album solo. Pop avait essayé de se réinventer avec son guitariste des Stooges, James Williamson, puis en auditionnant pour les Doors et Kiss, sans succès pour ses deux derniers essais. Mais avec Bowie, Pop se découvre une éthique de travail calquée sur son ami. Une discipline qu'il n'avait pas ailleurs. Il voudra Bowie près de lui. Carlos Alomar lui écrit un morceau. Iggy est convaincu. Il veut de l'influence de David et ses amis. Bowie connaissait le château d'Hérouville, en France, pour y avoir enregistré son dernier album avec les Spiders From Mars. Deux mois d'été y seront reservés par Bowie & Pop pour y faire The Idiot. Du nom du livre que Pop lit au moment de faire le disque, L'Idiot de Fyodor Dostoievski. Pop & Bowie ont fait un voyage à Moscou ensemble. Iggy en a ramené une envie de Dostoeivski

Bowie se lie d'amitié avec le propriétaire du studio au Château, Laurent Thibault, bassiste de la formation Magma. Il lui demande de jouer de la base pour Iggy et d'être l'ingénieur du son. Thibault suggère Michel Santangelli à la batterie, qui sera aussi engagé, au début. Mais très vite George Murray est amené à la basse et Dennis Davis, à la batterie. Bowie montre les morceaux en les jouant au piano électrique. Il finira par jouer de ce piano, de la guitare, du synthétiseur, du saxophone et fera des voix. Pop compose les paroles en studio et improvise même les paroles au micro, ce qui impressionne David. Qui fera la même chose plus tard. On travaille surtout la nuit, ce qui les rend vampires aux yeux de Thibault. Au mois d'août 1976, on se rend à Musicland, en Allemagne au studio qui appartient à Giorgio Moroder. Quand Jacques Higelin enregistre au même endroit, Pop est très attiré par la copine d'Higelin, une asiatique. Chinoise. Naitra une de ses meilleures chansons de l'album en cours. Nightclubbing est le dernier morceau qu'ils enregistrent avec Bowie utilisant une machine à batterie électronique. 

Bowie insiste pour réenregistrer avec un vrai batteur, mais Pop refuse. Aimant ce qu'il entend. Bowie essaie d'avoir Robert Fripp à la guitare, sans succès. On se rend à Berlin pour le mix final au studio Hansa. Tony Visconti s'y trouve déjà prêt pour le prochain album de Bowie. Bien que l'album est prêt à L'automne 1976, on en retardera la sortie, privilégiant une sortie de Bowie d'abord. Pour ne pas donner l'impression que c'est Pop qui influence David. Et le public attend Bowie, moins Pop, de toute manière.

Mais celui-ci lui prépare un coup de théâtre à sa maison de disque. Il entend faire un album qu'il n'est même pas certain de vouloir mettre sur le marché. En invitant Visconti, il lui demande ce qu'il faisait et celui-ci lui répond qu'il s'amuse avec un nouvel instrument "that fucks with the fabric of time".  Ce sont les mots qu'il veut entendre pour travailler avec lui. 

Fasciné par Berlin, Coco Schwab leur trouve un appartement pour y rester. Au dessus d'un garage. Beaucoup de ce qui s'appelle alors New Music: Night & Day, est déjà enregistré du Château d'Hérouville. Brian Eno, ancien claviériste de Roxy Music, se décrivant comme un non musicien, est extraordinairement ouvert aux expériences musicales. Il inventera presqu'à lui seul la musique nouvel âge. Eno est impressionné que Bowie eût remarqué et aimé son album minimaliste Discreet Music. Dont la popularité est restée, justement, discrète. Bowie veut, et pour toujours, vraiment expérimenter quelque chose de différent. Outre Alomar, Davis, Visconti et Murray, Eno, Roy Young, ancien claviériste des Rebel Rousers et Ricky Gardiner, guitariste de Beggars Opera se joignent à Iggy & Davy, tout comme Mary Hopkin, choriste et alors épouse de Tony Visconti. Ce dernier, et Visconti tricotent ensemble un son de batterie phénoménal. Aussi mécanique que lourd. Maintes et maintes fois copié depuis. Facilement 3 chansons utilisent ce son de batterie innovateur. On fait tout ça à Hérouville. Mais Bowie et Visconti s'empoisonnent alimentairement tous les deux et se plaindront de la qualité des services du studio.

Bowie est tout de même dans un drôle d'état. Un état incertain. Avec Angie, on pense rupture. Avec la drogue, il pense aussi rupture, mais a peur que ceci freine sa créativité. Il se sépare aussi de son nouveau gérant, Micheal Lippman. Eno pousse les idées d'expérimentation, Alomar résiste le plus, mais fini par céder. Ne s'empêchant pas de parler de bullshit d'avant-garde les petits cartons que leur pointe Brian Eno. De retour à Berlin, cette fois au Studio 2, "By the wall", on enregistre trois pièces instrumentales, et on fait des voix. David veut garder le profil bas. Au lieu de faire un côté Nuit et un côté Jour, comme il pensait d'abord le faire, il fera un jeu de mots de sa pochette, un profil "bas", et les deux chansons de la Face A, Face qu'il avait anticipé faire de morceaux tous chantés, resteront sans paroles. La chanson qui termine la face A me fait verser une larme l'année dernière en mai à un mémorable spectacle hommage à Bowie à la Place des Arts. Always Crashing The Same Car, une métaphore d'erreurs répétées, qui fait aussi allusion à un incident qui lui est survenu à Los Angeles avec un dealer de drogue, est une de mes préférées dès la première écoute. Encore aujourd'hui, c'est un de mes morceaux préférés de Bowie. Le jeu de guitare entre Gardiner et Alomar est formidable. Avec l'orgue que Pink Floyd a utilisé pour enregistrer Matilda Mother, et inspiré d'une de ses albums préférés, The Madcap Laughs, Bowie enregistre non seulement un morceau ironique amoureux (alors qu'il se sépare) mais un clip aussi. Iggy accompagne David comme il l'avait fait avec TVC15 sur un morceau, aux voix. Un morceau presque John Lennonien

On utilise une autre photo du film The Man Who Fell To Earth pour la pochette et je crois sincèrement que mon amour pour la couleur orange y nait. Quand la compagnie de disque reçoit Low, ils sont tout en émoi. Ils refusent que cet album soit lancé fin novembre comme prévu. Avec 6 morceaux instrumentaux sur 11. Bowie gardera la lettre de refus et la fera encadrer. Refusera tout changement. L'album sera finalement lancé le 14 janvier 1977. Bowie refuse d'en faire la promotion et sera même discret claviériste d'une tournée d'Iggy Pop dont l'album est lancé en mars 1977. 

L'album de Bowie est incompris et mal reçu par fans et critiques. Quand je l'entends pour la première fois, je suis dans une passe très difficile de ma vie et l'écho musical qui m'entre dans le corps n'en sortira jamais. Low sera mon album préféré à vie, et mon plus écouté. Parce que chaque fois, je le vis. 

Joy Division, Human League, Cabaret Voltaire, Arcade Fire, Magazine, Gang of Four, Wire sont tous de dignes héritiers de Low. Joy Division s'appelle même Warsaw à ses débuts. 

Avec le temps, cet album vieillira comme du bon vin et deviendra culte. 

Il vend peu alors, mais gagne en estime avec le temps. Je l'ai déjà dit, c'est mon préféré et je le connais par coeur. Cet album résonne en moi comme un deuxième coeur.  The Idiot, comme un deuxième poumon. 

En tournée avec Pop, on retrouve Bowie au piano et aux synthés, Ricky Gardiner à la guitare, les frères Tony (à la base) et Hunt Sales (à la batterie) On est inséparables. On ne touche plus vraiment à la drogue, mais on compense largement en alcool. On compose beaucoup durant la tournée ce qui deviendra l'album Lust For Life, d'Iggy Pop, lancé en septembre 1977. Bowie co-écrira quelques morceaux encore et produira. Chaque fois qu'il enregistre Pop, il se réchauffe pour un album à lui. Quand on interviewe Pop durant sa tournée, on ne lui parle que de Bowie et ça le frustre. Pop sera plus présent en studio et dans les décisions de ce nouvel album.

De toute manière Eno, Alomar, Visconti, Murray, Davis et Bowie sont mentalement ailleurs aussi.

By the wall.  

dimanche 5 mars 2023

Los Angeles Dans Les Veines

Bien que la naïve Candy Clark (ou tout simplement afin de le couvrir) ait dit que David eût été extraordinairement professionnel et sous l'effet d'aucune drogue sur le tournage de The Man Who Fell To Earth, David ne se drogue pas devant elle. Il ne se nourrit que de piments, de lait et de drogue. L'album qui en naîtra SERA un tel effet secondaire de la cocaïne que Bowie lui-même ne se rappellera même pas l'avoir enregistré. Entre les scènes de tournage, ici et là, il entre en studio et enregistre de la musique de transition qui sera un croisement de art rock, funk rock, soul, R & B, space electronics, rock, punk.

Ce sera un parfait album de transition entre Young Americans et les sons du moment qui l'enivrent maintenant, ceux de Can, Kraftwerk ou de Neu!, 3 groupes allemands.  

David sera celui qui accueillera Iggy Pop, qui n'a plus personne autour de lui, à sa sortie de la clinique de désintox. Bowie dira plus tard que la meilleure manière de faire le ménage dans ses amitiés et de perdre tout son entourage est de se droguer. Pop en était une autre preuve. Quand Iggy lui raconte un rêve à lui, probablement inspiré aussi d'une scène de The Man Who Fell To Earth, où sa copine serait mangée par plusieurs téléviseurs, Bowie compose TVC15 et fait chanter Iggy dessus. Est-ce qu'Iggy rechute dans la drogue ? Peut-être un peu, Bowie ne l'aide en rien.

La drogue rend David paranoïaque. Il lit beaucoup, sur la kabbale, sur le sorcellerie, sur Allistair Crowley, sur Hitler, sur l'Allemagne, sur Goebells dont il voudrait peut-être adapter la vie au cinéma et le jouer. Il explore l'Allemagne en tenant compagnie à l'auteur Christopher Isherwood, dont le livre Goodbye to Berlin (& un peu de Mr. Norris Takes The Train) deviendra Cabaret, au cinéma. Bowie lit sur la mythologie, Nitezsche, fait des entrevues loufoques où il prétend que Hitler aurait été la première vedette rock n' roll, que l'Angleterre serait mûre pour avoir un bon fasciste, que Bowie lui-même pourrait être ce bon fasciste, le Thin White Duke se dessine tout seul. "A very nasty character indeed" dira Bowie qui ne comprendra jamais comment il n'est pas mort durant cette période brouillonne. Son assistante depuis 1973, Coco Schwab le sauve plus d'une fois. Même quand sa carrière effleure la fin quand il salue la foule, dans une décapotable, en Allemagne, et qu'une photo semble suggérer qu'il fait un salut Nazi. Ce seront les images vidéos qui le sauveront, mais ce ne sont pas tous qui les voient en 1975. 

Bowie passe plusieurs jours sans dormir. Ce qui le fait enregistrer et travailler jour et nuit. Il écrit la pièce titre de son album. Influencé comme un croisement de ce que fait Kraftwerk ou Tangerine Dream, il vise volontairement quelque chose de progressivement rock. Presque disco. Occulte. Spirituel. Les stations sont religieuses. La chanson durera plus de 10 minutes, un record alors pour Bowie. Il signe aussi un morceau qu'il offre à son jumeau cosmique et partenaire d'étiquette de disques, Elvis Presley, mais celui-ci refuse, légèrement indigné. Presley, très conservateur n'aime pas ce que Bowie représente publiquement, et selon Presley, son âge d'or n'est pas derrière. 

Durant cette période, Bowie découvre enfin que son gérant Tony DeFries le vole. Il s'en sépare. DeFries ne tolère par la drogue de toute manière. Bowie a généré plus de 100 millions et pourtant il ne touche pratiquement que pour assurer sa subsistance seulement. Ça ne se règlera qu'en 2011...2011!!! Quand DeFries est forcé de lui verser 9 millions. Mick Jagger et John  Lennon avaient tous deux dits de ne pas laisser trop de choses entre les mains du gérant. Mais Bowie entend les conseils après avoir signé pour DeFries. Qui avait un contrat de partage des profits à 50%. Bowie en sera déprimé de ne pas avoir tout lu. Ça le plonge assez facilement dans la drogue pour s'évader de tout ça. 

Mais L.A. l'intoxique. Il pense voir des mannequins tomber des toits dans sa fenêtre de chambre d'hôtel. Il s'entoure de toutes sortes d'articles égyptiens, fait du ouija, brûle des chandelles noires, pense que son semen est volé par de sorcières (non, il baise comme un animal et les femmes disparaissent le lendemain). Il pense aussi que les Rolling Stones lui envoient des messages secrets (Angie ? my Angie ?). Et vit avec la peur morbide de Jimmy Page qui s'en rend compte et le torture mentalement en abusant de sa paranoïa. 

Il retravaille un morceau spirituel qu'il a écrit sous l'effet de la cocaïne, sur le tournage de The Man Who Fell To Earth, et enregistre avec Harry Maslin. On sent qu'il veut garder sa tête, mais la perds aussi. Le Maigre Duc Blanc est un aryen sans coeur. A piece of shit. Bowie se sent comme de la merde, aussi. L'automne 1975 est très fructueux créativement, alors qu'il réunit ses 2 guitaristes, Earl Slick et Carlos Alomar, leur écrit un morceau où ils se défieront de la guitare, garde Dennis Davis à la batterie et Georges Murray à la basse pour ce morceau et les albums à venir. Des comparses qui seront rès importants pour la suite. Roy Bittan, pianiste du E Street Band de Bruce Springsteen, se joint aussi à eux. Warren Peace prête sa voix aux choeurs assez habilement. 

Après avoir rencontré Nina Simone, il lui fait part à quel point sa musique l'affecte positivement. Il croise Frank Sinatra en studio et les deux rencontres l'inspirent à reprendre Wild is The Wind. Personnellement une de mes chansons/performances vocales préférées de Bowie, et le morceau que j'ai encore le plus écouté, l'an dernier se lon mon téléphone. Il dit l'avoir chanté avec Simone en tête. Mais avec Frank dans la voix.

Le 23 janvier, Bowie lance son 10ème album avec comme pochette, une image tirée du tournage du film de Nicholas Roeg. Plusieurs qualifient cet album de seulement 6 chansons de premier véritable chef d'oeuvre de sa part. 

Mais à l'origine, il n'est pas tout de suite compris. C'est l'ère du disco ou du punk. Alors qu'est-ce que cet essai de 6 morceaux dont un de plus 10 minutes qui ne pourra jamais jouer à la radio ? 

Station to Station est un album d'avant-garde qui touche aussi au gospel et au style crooner. Le son clinique de tout ça reste extraordinairement formidable et vieillit encore très très bien. Bowie se rappelle peu, mais les sons restent.

Il doit maintenant régler ses problèmes de gérance, son mariage mort. Il envoie sa demande de divorce à Angie qui la refuse. Quand Coco Schwab, qui ne cesse de jouer l'infirmière avec Bowie depuis 1973, et Angie se chicanent très ouvertement à grands cris, Coco quitte les lieux. David, qui assiste à ça, part à sa rescousse et la cherche partout en ville, inquiet. Angie comprend qui il a choisi. Celle qu'Angie qualifiait de trieuse et d'assassine. Elle vient d'assassiner son couple selon elle.

Nasty character, nasty ogre, c'est ainsi que Davy décrit le Thin White Duke qu'il jouera en mini tournée de 6 mois à partir du 2 février, à Vancouver.

Los Angeles se trouve encore tout juste au sud. 

La ville a un très mauvais effet sur lui, Bowie voudra l'exil. Exil financier aussi. 

Avec Iggy, il visera la France. Au Château d'Hérouxville. Conseillé par Elton John et Gus Dudgeon.

Bowie se magasine de meilleurs fantômes.  

L'Adieu Parfait

En 2013, après de rares apparitions publiques depuis plus de 10 ans, son album The Next Day connait un franc succès. Le 25 mars de cette mê...